Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Michel Pourtier. Une œuvre à « dessins »

Michel Pourtier a marqué ses élèves de l’École Normale de Dordogne autant que les fidèles de la Galerie des artisans et créateurs d’art, à Périgueux. Le professeur d’arts plastiques a offert au Département une série de dessins exposés actuellement au château de Biron.

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Osmose © Photo F. Lauginie CD24

Michel Pourtier a fait don en 2021 de 117 œuvres de son fonds d’atelier, une transmission généreuse au bénéfice de tous les habitants de Dordogne : ils reçoivent cet héritage par l’intermédiaire du Fonds départemental d’art contemporain, qui veille désormais à sa conservation, et peuvent l’admirer jusqu’au 29 mai au château de Biron.

FIN EXPLORATEUR DE L’ÂME HUMAINE

Fin explorateur de l’âme humaine, l’artiste pointe d’un trait de crayon ses mystères comme ses franches expressions. À la fois inquiet et sensible à ce qui se joue entre les individus, il scrute le monde pour trans- former la vie sociale en spectacle permanent. Il porte son regard perçant, d’un bleu lumineux, sur la comédie humaine : les communications impossibles, les rendez-vous manqués, l’enfermement dans un système, le malaise et le manège d’un harcèlement d’avant MeToo, les mauvais tours joués à la planète, les fausses innocences et les véritables victimes…

Les chapitres du parcours organisé sur deux étages du château de Biron, immense écrin pour ce travail de dentelle et de détail, donnent le sens et la mesure de sa « figuration critique » : Mémoire réinventée, Les Intranquilles, Les mini riens, Mythologies modernes, Conscience et violence, La comédie humaine, L’humanité-Gros plans.

ENTRE FIGURATION ET ABSTRACTION

Bien au-delà des exercices de style du dessin académique, Michel Pourtier s’est attaché à y inscrire une œuvre avec l’art et la matière, le talent de la nuance, la technique d’effets de textures et de densité. Il manie l’arme fatale du vélin d’Arches®, de la mine de graphite ou de la plume Sergent Major® trempée dans l’encre de Chine pour « exécuter » ses personnages. Par la spatule ou le frottage, autres outils au service du geste, il saisit et suggère, imprime un rythme, un élan à fleur de feuille.

Michel Pourtier trace un point de croix graphique en noir et blanc, minutieux, comme pour mieux percer ce qui se trame sous la peau des personnages qu’il décrit. La madone des sleepings affirme ses cuisses généreuses, où trône son petit chien. La Caquetoire forme un jeu d’ombres et de lumière autour d’un fil de conversations, à l’infini, et d’un homme impuissant face à l’étourdissante circulation de la rumeur (c’est ce qu’on peut transposer de nos réseaux sociaux à partir de cette œuvre datée de 1982).

La Caquetoire © Photo F. Lauginie CD24

SANS FORCER LE TRAIT

Dans le triptyque de 1989, Mémoires immobiles qui ouvre l’exposition, se masse une foule compacte, une surpopulation préoccupée, à la fois vaguement ondulante et strictement figée, voire quasi fossilisée en arrière-plan, dans laquelle on croit reconnaître en (figure de) proue un célèbre ministre de la Culture. Osmose, choisi pour l’affiche de cette rétrospective à Biron, signe l’alliance d’une chaise décatie et de celui qui a peut-être passé sa vie dessus, comme une extension corporelle, la prise de pouvoir des contingences. L’espace consacré aux mini riens, petits formats qui se répondent, assemblage d’inspirations, côtoie les engagements de l’artiste et son regard sur les violences des années 70-90, femmes afghanes grillagées, famine organisée au Biafra, ségrégation raciale d’Afrique du Sud.

Le mur de Saint-Front semble emprisonner pour l’éternité ceux qui l’auraient élevé, figures effritées, fragments corporels écrasés par les siècles, parcelles d’imaginaire dans la lecture architecturale de la cathédrale, « en référence au Traité de la peinture (1490) de Léonard de Vinci » : Michel Pourtier s’amuse et se surprend à faire naître des visages des figures au creux des textures, des (in)carnations minérales.

La foule qui se pressait ici, loin des bases de Périgueux, lors du vernissage en présence de l’artiste, exprimait toute la considération à l’égard de l’homme et de l’œuvre. Qui lui survivra.

L’ANNÉE DU DESSIN EN PÉRIGORD

Depuis les fresques animalières tracées sur la paroi de Lascaux jusqu’aux nombreux lieux d’exposition qui maillent aujourd’hui le territoire, il y a 20 000 ans d’histoire de l’art. Le Périgord a choisi de se concentrer une année pleine sur le seul dessin. Plusieurs expositions sont programmées pour célébrer la diversité contemporaine des arts graphiques. Le coup d’envoi a été donné à Biron, site qui recevra cet été les maîtres du dessin de la Fondation Maeght et de la collection Brache-Bonnefoi. L’Agence culturelle départementale recevra du 7 mars au 26 mai une sélection d’artistes reconnus ou émergents sous le générique La ligne trouble, « une pratique de la transparence » ; puis, cet automne, un temps fort avec Lorenzo Mattotti, en lien avec le festival de la BD de Bassillac.

Les Rives de l’Art accueilleront au château de Monbazillac Géraldine Kosiak pour une célébration de presque 40 ans du Frac en Nouvelle-Aquitaine (14 avril-25 juin) puis Fabien Mérelle, un temps fort (8 juillet-30 septembre) avec ce virtuose à la douce cruauté, premier lauréat du prix Canson, exposé dans le monde entier. D’autres lieux établis aux points cardinaux du département, La Ligne Bleue à Carsac-Aillac, le Moulin de la Baysse à Excideuil, Agonac, Ribérac, Les Eyzies, Cadouin raconteront avec des artistes comme Nathalie Joffre ou Michel Brand l’étendue des possibles à partir d’un trait.

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