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Tanneries de Chamont : les experts du cuir

Propriétaire des tanneries de Chamont à Saint-Pardoux-la-Rivière, depuis plus de 30 ans, Marek Sus cultive le savoir-faire d’un cuir naturel, de qualité. En un mot « vivant ». Des cuirs qui fournissent de grandes entreprises.

tanneries de chamont

© Loïc Mazalrey - La Vie Économique

À deux pas du bourg de Saint-Pardoux-la-Rivière, au cœur du Périgord Vert, se dressent, au bord de la Dronne, les Tanneries de Chamont. Les bâtiments de 300 m², dans d’anciennes maisons de pierre, témoignent de l’histoire de l’entreprise créée en 1903. Cette tannerie fait partie des trois dernières de France à utiliser des tannins végétaux – de châtaignier et mimosa notamment – pour travailler le cuir ; et elle est la seule de France à pratiquer la méthode de mise au vent pour aplatir et corriger la peau lors de la conception des pièces de cuir. Seules trois entreprises au monde utilisent encore cette machine. Ces particularités des tanneries de Chamont font la fierté de Marek Sus, dirigeant de l’entreprise depuis 1991. Lorsqu’il traverse ses ateliers, le patron est attentif, regarde chaque pièce de cuir et ne rate aucun défaut, ne manque aucun détail. L’excellence, c’est la marque de fabrique de ses produits.

© Loïc Mazalrey – La Vie Économique

Les tanneries de Chamont enregistrent une croissance positive de 3 à 4 % chaque année

Une croissance positive

Avec un carnet de commandes plein sur au moins trois mois, l’entreprise vend en France, mais également en Suisse, en Allemagne, et jusqu’au Japon. « Aujourd’hui, le cuir naturel a le vent en poupe », note Marek Sus. Avec un chiffre d’affaires de plus de 1,3 million d’euros pour 2023, les tanneries de Chamont enregistrent une croissance positive de 3 à 4 % chaque année. Face à cette demande constante, le dirigeant ambitionne de doubler sa surface de production, avec un nouveau bâtiment de 400 m², dont il espère voir les travaux débuter en 2025. « Il y a un goulot d’étranglement à l’atelier de finissage qui est saturé. » À cette étape, le cuir est teinté, le finissage est déposé et le cuir enfin terminé. Avec ce chantier, Marek Sus espère une « meilleure organisation du travail, acquérir de nouveaux équipements et davantage de production ». Un investissement de 1 million d’euros.

« Nous fournissons le plus ancien maroquinier de France, Joseph Duclos. Nous livrons également la quasi-totalité des selles de Camargue »

85 % de cuir pour la sellerie

© Loïc Mazalrey – La Vie Économique

Les tanneries de Chamont comptent déjà une centaine de clients pour 15 000 m² de cuir fabriqués chaque année. 85 % de cette production est destinée à la sellerie, mais également la maroquinerie ou encore pour du cuir à bourrellerie. Parmi ses clients : la sellerie CWD de Nontron, qui équipe des champions olympiques. « Nous fournissons le plus ancien maroquinier de France, Joseph Duclos. Nous livrons également la quasi-totalité des selles de Camargue », relève Marek Sus. Si ses cuirs sont autant demandés, pour le patron, c’est pour sa qualité, et son savoir-faire, qu’il a reconnu dès le départ. Marek Sus est arrivé en Dordogne en 1990. C’est lui qui a installé la maison Hermès dans le département.

Savoir-faire véritable

« Rapidement, les pouvoirs publics m’ont approché pour que je soutienne la tannerie. » Face à leur insistance, il a accepté de réaliser un audit. « J’ai tout de suite réalisé qu’il y avait un vrai savoir-faire, mais qu’il n’y avait pas les moyens d’acheter des peaux de qualités. Les clients connaissaient le savoir-faire de la tannerie, mais ils ne savaient jamais quand ils seraient livrés. » Pour l’ancien salarié d’Hermès, ce savoir-faire réside dans ce tannage végétal, de plus en plus rare, et la qualité de sa réalisation. « Le tannin doit traverser le cuir de part et d’autre », souffle-t-il. Des gestes et techniques qui se transmettent de salarié en salarié.

© Loïc Mazalrey – La Vie Économique

Pour Marek Sus, ancien salarié d’Hermès, ce savoir-faire réside dans ce tannage végétal, de plus en plus rare

De recrutements difficiles

En redressement judiciaire en 1991, les tanneries sont récupérées par Marek Sus pour 400 000 francs auprès du tribunal de commerce. « Je me suis donné deux ans pour redresser l’affaire », soulève-t-il. Pari réussi : en trois mois, les comptes reviennent à zéro, en dix-huit mois, l’entreprise génère des revenus. Deux ans après son arrivée, en 1993, le nouveau propriétaire investit 2 millions de francs : l’aventure est lancée. Néophyte dans ce domaine, le dirigeant se forme auprès des anciens propriétaires de la tannerie, deux cousins d’une soixantaine d’années, restés à Chamont jusqu’à la retraite.

Ce « cuir qui vit »

Aujourd’hui, l’entreprise compte huit salariés, dont six tanneurs. « Il nous manque une personne, reconnaît Marek Sus, mais on n’arrive pas à recruter. » Les employés en interne aux savoir-faire de la tannerie de Chamont, mais comme de nombreuses entreprises, la tannerie ne trouve pas de volontaire, et encore moins des candidats prêts à s’inscrire dans la durée. En attendant de trouver le candidat idéal, les tanneries de Chamont continuent de tourner à plein régime, pour fabriquer ce « cuir qui vit », comme disent les puristes.

© Loïc Mazalrey – La Vie Économique

Trouver des peaux de qualité : un enjeu de taille

La quasi-totalité des peaux achetées par les tanneries de Chamont proviennent de Bavière, ou des pays scandinaves. « Là, on a environ 70 % de premier choix », affirme Marek Sus. En France, ce n’est que 7 % pour les gros bovins, et 13 % pour le veau. En cause ? La rémunération. En France, les éleveurs ne sont pas rémunérés pour la peau, considérée comme un déchet. « On n’a donc pas de matière première de qualité en France », regrette Marek Sus. Il milite donc pour que les pratiques changent. Lors d’une expérimentation réalisée avec le pôle d’excellence rural, les éleveurs ont été rémunérés pour les peaux : les statistiques ont bondi 13 à 88 % de cuir premier choix sur les veaux. Aujourd’hui, avec la filière d’excellence cuir de Nouvelle-Aquitaine, dont quelques éleveurs sont partenaires, il est possible pour les tanneries d’avoir des peaux locales. Les éleveurs ont une prime pour les peaux 1er et 2e choix. « Car on achète la peau avec les poils dont on ne voit la qualité qu’après », soulève Marek Sus, qui attend encore de grands changements.