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Tribunal de commerce : l’économie en mutation

Pour Daniel Arrijuria, président du tribunal de commerce de Bayonne, l’année 2023 témoigne d’une économie en mutation avec le remboursement des PGE, les effets de l’inflation et les difficultés de recrutement des entreprises.

Daniel ARRIJURIA, président du tribunal de commerce de Bayonne

Daniel ARRIJURIA, président du tribunal de commerce de Bayonne © V. Biard - La Vie Economique

La Vie Economique : Dans votre discours d’audience solennelle du Tribunal de Commerce, vous avez parlé d’une année record et même d’une économie en pleine mutation pour 2023. Pour quelles raisons ?

Daniel Arrijuria : « Nous avons connu deux années d’une situation anormale. Il y a eu énormément d’aides accordées aux entreprises qui leur ont permis d’éviter des difficultés. Ensuite l’année 2022 a été une période transitoire et en 2023, nous sommes rentrés dans une période normale. Mais le problème de cette année est le remboursement des aides octroyées les années précédentes. Et je constate que pour faire face à ces remboursements, les entreprises cherchent à développer leur chiffre d’affaires et pour cela, il faut embaucher, trouver de nouveaux marchés, et là c’est compliqué. L’embauche est une préoccupation majeure des chefs d’entreprise. Bon nombre d’entreprises qui ont déposé leurs comptes, ont déposé leur bilan parce qu’ils n’avaient plus de personnel. En quarante ans d’activités, je n’ai jamais connu cela. »

LVE : Quelles sont vos prévisions pour 2024 ?

D. A. : « Au vu de l’actualité, l’année 2024 sera une année de réajustement. Il y a un fléau qui handicape beaucoup l’activité économique, c’est la tracasserie administrative. Il y a une énorme inflation juridique. Si le gouvernement avait la bonne idée de lever un peu les contraintes administratives, cela ne pourrait aller que dans le bon sens. »

Chiffres clés 2023

60 % de procédures collectives de plus qu’en 2022
79 liquidations judiciaires
64 redressements judiciaires
17 procédures de sauvegarde
4 rétablissements professionnels
447 emplois concernés par les procédures
86 emplois sauvés par l’adoption d’un plan

LVE : Vous avez évoqué la mise en place d’une cellule de prévention composée de six juges et également l’importance des avocats et des experts-comptables dans la prévention. Justement ces derniers ambitionnent de développer une activité de conseil, c’est plutôt une bonne nouvelle non ?

D. A. : « Oui c’est une bonne nouvelle. J’ai essayé de faire des démarches envers cette profession que je connais très bien. Quand je suis arrivé juge, j’ai été très surpris de l’absence d’experts-comptables dans l’accompagnement des chefs d’entreprise en difficulté. 90 % des personnes qui viennent déposer le bilan ne sont pas accompagnées. J’ai essayé d’amener une idée et je m’en étais entretenu avec Monsieur le Procureur qui en a parlé. J’ai pris contact avec la présidente du Conseil régional de l’Ordre des Experts-Comptables pour essayer de modifier la lettre de mission des experts-comptables. J’ai souhaité qu’elle intègre les difficultés de l’entreprise. Il y a bien sûr une rémunération qui en ressort mais que l’on pourrait mutualiser dans le cadre d’un contrat d’assurance obligatoire pour tous les cabinets, ce qui empêcherait toute concurrence déloyale. La présidente a été fort intéressée par ce projet et elle doit le faire remonter au Conseil supérieur mais pour l’instant je n’ai aucune nouvelle. Je suppose que lorsque l’expert-comptable pourra travailler à aider une entreprise en difficulté sachant qu’il sera payé par une assurance ou une mutuelle, cela changera tout. »

Des entreprises à accompagner

L’audience solennelle de rentrée du tribunal de commerce de Bayonne, organisée le 29 janvier dernier, a permis de mesurer la santé de l’économie locale avec 264 procédures collectives ouvertes en 2023 contre 163 en 2022. Dans son discours, Jérôme Bourrier, procureur de la République, a énuméré les chiffres clés de l’activité du tribunal de commerce de Bayonne et rappelé que les liquidations d’entreprise sont traumatisantes pour leurs dirigeants. Pour Daniel Arrijuria, président de ce Tribunal de Commerce depuis une année, il est indispensable de faciliter la pérennisation des entreprises et de mettre en place davantage de prévention. Et justement la cellule de prévention mise en place début 2023 avec 6 juges a accueilli près de 70 chefs d’entreprise. À noter que trois nouveaux juges (Anne-Claire Louvet-Boutant, Thierry Lenoir, Éric Menta) ont rejoint le collège des dix-neuf juges du Tribunal de commerce de Bayonne en octobre dernier.