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Vignoble de Bergerac : gloire au vin perse !

Figure active de la diaspora iranienne en France, Masrour Makaremi est en train de faire renaître en terre bergeracoise le doux élixir banni par les mollahs iraniens ! ...

vignoble

© Loïc Mazalrey

C’est l’une des figures les plus actives de la diaspora iranienne en France. Installé à Bergerac où il exerce le métier d’orthodontiste spécialiste en orthopédie faciale, le docteur Masrour Makaremi multiplie les pieds-de-nez au régime des mollahs. Son dernier coup d’éclat ? Un aller-retour au Qatar pour afficher sa solidarité avec les femmes iraniennes avec un maillot de l’équipe nationale d’Iran floqué au nom de Mahsa Amini, la jeune femme décédée brutalement le 13 septembre après son arrestation par la police des mœurs pour « tenue inappropriée ». « L’Iran venait de perdre 6 buts à 2 contre l’Angleterre. Tout autour de moi, les gens affichaient un air triste dans les tribunes du Khalifa International Stadium. Moi, j’ai souri de toutes mes forces en tenant le maillot entre les mains », confie le médecin bergeracois.

MIROIRS D’UNE ÂME MEURTRIE

Exfiltrés de Chiraz, au sud de l’Iran, en 1986 à l’âge de 9 et 11 ans, Masrour Makaremi et sa sœur Chowra n’ont rien emporté de leur terre natale. Rien, si ce n’est la certitude que personne ne pourrait jamais leur enlever leur identité iranienne. Devenue chercheuse au CNRS après une thèse d’anthropologie, Chowra a choisi l’écriture et l’image pour raconter Fatemeh, cette mère engagée à laquelle elle et son frère allaient rendre visite en prison. Il y a dix ans, la jeune femme est retournée à Chiraz, caméra au poing, dans l’espoir d’y trouver le souvenir de sa mère. Comme un signe de la Providence, un carnet laissé à son attention par son défunt grand-père Aziz l’attendait sur place. Des pages et des pages de persan, miroirs d’une âme meurtrie, dont elle a sublimé la douleur dans un livre, Le Cahier d’Aziz, au cœur de la révolution iranienne (1), et un film, Hitch, une histoire iranienne.

Est-ce une question de tempérament ? Le spécialiste en orthopédie faciale a préféré un tout autre chemin pour exprimer son identité iranienne : celui de la vigne et du vin. Tombé amoureux du vignoble à son arrivée dans le Bergeracois en 2007, Masrour Makaremi a entrepris d’y faire pousser des cépages iraniens. Moins par coquetterie que par engagement personnel. « Planter de la vigne et élever du vin iranien, ici, dans le Sud-Ouest, est à la fois un acte de résistance et de construction », explique l’homme de 44 ans.

Planter de la vigne et élever du vin iranien dans le Sud-Ouest est un acte de résistance et de construction

SUPPLÉMENT D’ÂME BERGERACOIS

« Un acte de résistance » parce que les mollahs ont interdit la consommation de vins, au mépris de la tradition vinicole qui a longtemps prévalu en Iran. 5 000 ans avant Jésus-Christ, les habitants de la région de Chiraz produisaient déjà du vin au pied des monts Zagros, comme en témoignent les nombreuses jarres et amphores mises au jour par les campagnes archéologiques.

© Loïc Mazalrey

PROJET D’AVENIR

Dans les propos de cet homme accompli, « la vindicte ou la vengeance » ont d’autant moins leur place que la résistance se double d’une aventure tournée vers l’avenir. C’est ce qu’il appelle « l’acte de construction ». Ou comment faire advenir un vin iranien avec un supplément d’âme bergeracois. « Mon souci est d’apporter quelque chose au terroir avec lequel un lien de confiance s’est établi », confie-t-il, résumant sa pensée par une formule toute personnelle : « J’ai donné, j’ai reçu, ça a fait quelque chose de bien ».

LA MAIN TENDUE DE GRÉGORY DUBARD

À défaut de posséder lui-même de la vigne, Masrour s’est mis en tête de convaincre un vigneron de tenter l’aventure iranienne avec lui. Pendant deux ans, le quadragénaire s’est mué en VRP, démarchant ici un château reconnu, là une propriété plus modeste mais à ses yeux prometteuse. En vain. Par orgueil ou par peur de l’inconnu, tous les viticulteurs de la place bergeracoise ont refusé. Tous, sauf un, Grégory Dubard, représentant de la dernière génération des Vignobles Dubard.

© Loïc Mazalrey

Est-ce à cause de sa jeunesse ? De ses études poussées en œnologie à Montpellier ? De son goût pour les vins du Nouveau Monde produits dans l’hémisphère Sud ? Le jeune vigneron de 42 ans installé à Saint-Méard-de-Gurçon, sur l’une des collines de l’appellation des vins rouges Montravel, a spontanément tendu la main au quadragénaire franco-iranien. « Il a accepté de me louer deux hectares de vigne sur sa propriété du Gouyat et de m’accompagner dans toutes les étapes qui ont précédé la naissance de mon vin », explique l’intéressé.

Fin connaisseur du monde viticole, Grégory Dubard est parti chercher dans la vallée du Rhône des cépages de syrah, également connus dans le monde sous la dénomination de shiraz, en tout point semblables à ceux qui s’épanouissaient jadis sous le soleil de Chiraz en Iran. Les pieds de vignes ont été plantés il y a quatre ans sur une parcelle laissée en jachère. Arrivés à maturité, les premiers raisins ont été ramassés à l’automne, laissant augurer d’une belle cuvée de rouge à la fois « puissante et surprenante ».

UN VIN UNIQUE NOMMÉ « CYRHUS »

Le père de Masrour, Hassan, a calligraphié le mot « patrie » sur les jarres en guise de porte-bonheur et la magie a opéré. Au terme d’une vinification inspirée de « l’archéologie moléculaire de la vigne » (2), un vin est né, un vin unique nommé Cyrhus en hommage à Cyrus, le fondateur de l’empire perse au VIIe siècle avant Jésus-Christ, et à Chiraz, dont la lettre « h » est venue se glisser entre la lettre « r » et le « u ». Plus qu’une coquetterie, une signature. Poussant son raisonnement jusqu’au bout, Masrour a limité la production à 559 bouteilles de Cyrhus, référence à l’an 559 avant notre ère, date de la création de l’empire perse.

© Loïc Mazalrey

AMPHORE ET POÈME PERSAN

L’opération n’est pas forcément rentable financièrement parlant, mais là n’est pas l’essentiel. « Seule la renaissance du vin de Chiraz m’importe », explique Masrour, qui ne saurait se détourner de cet objectif. Si cela devait arriver, deux éléments fondateurs le rappelleraient à son devoir. L’un, matériel, s’incarne dans une amphore iranienne de la première moitié du premier millénaire achetée dans le cadre des enchères d’Artcurial à Paris. Une amphore bleu turquoise à l’intérieur de laquelle le vin a recoulé pour la première fois depuis longtemps avec la naissance de Cyrhus. L’autre, spirituel, se matérialise par un poème. Un poème écrit de sa plume en persan, avant d’être traduit en français, dans le droit fil du grand poète perse Hafez, dont l’œuvre lyrique magnifie la culture du vin à travers de belles et longues métaphores.

Arrivés à maturité, les premiers raisins ont été ramassés à l’automne laissant augurer une belle cuvée de rouge « puissante et surprenante

« Ils ont pris notre terre et l’ont rendue sans vie. Ils ont pris notre mère et l’ont rendue sans vie. J’ai fait de ma nouvelle demeure le récipient de ton vin et à la bouche et aux lèvres, j’ai porté l’ivresse originelle. » « C’est ce poème qui m’a mené jusqu’au vin Cyrhus », confirme Masrour, qui a reçu la deuxième cuvée de son vin Cyrhus le 3 décembre, jour de l’abolition de la police des moeurs accusée d’être à l’origine du décès de Mahsa Amini. Tout un symbole.

(1) Publié aux éditions Gallimard, collection Témoins

(2) Le procédé a été décrit par le chercheur américain Patrick McGovern dans son livre référence Naissance de la vigne et du vin