Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Jurançon – Un vigneron d’exception

La Revue du Vin de France a attribué le prix du Vigneron de l’année à Jean-Marc Grussaute, vigneron à Jurançon. Depuis les terres pentues du domaine Camin Larredya, le Béarnais nous livre sa vision du métier, entre « viticulture artisanale » et « vin identitaire ».

Jean-Marc Grussaute jurançon

Jean-Marc Grussaute © Cyril Garrabos

Jouer collectif. De sa passion pour le rugby, qu’il a pratiqué à haut niveau sous les couleurs de la Section Paloise, Jean-Marc Grussaute chérit plus que toute autre cette valeur essentielle aux amoureux du ballon ovale. Si, à 55 ans, il vient d’être élu vigneron de l’année par la Revue du Vin de France, ce « Biarnés cap e tot »* n’en démord pas : avant d’être la sienne, cette distinction, véritable reconnaissance dans le milieu, est d’abord celle des femmes et des hommes qui font briller les vignobles du Sud-Ouest. « Il y a des identités partout dans le Sud-Ouest, tout autant que sur notre cépage. Cette récompense met en lumière notre région », défend-t-il.

Jean-Marc Grussaute est sincèrement modeste. Pourtant, il pourrait s’enorgueillir d’être non seulement le premier vigneron du Sud-Ouest ainsi consacré, mais également d’être l’unique domaine du Sud-Ouest auréolé de trois étoiles sur trois dans Le Guide des meilleurs vins de France édité par la Revue du Vin de France. Ce serait cependant mal connaître son histoire. Sans cette émulation spécifique aux appellations du Sud-Ouest, ce représentant de l’excellence en Jurançon ne serait peut- être pas aujourd’hui en si bonne place dans les pages en papier glacé d’un magazine renommé, lui qui n’avait aucune envie de devenir vigneron.

Une passion née sur le tard

« Je suis entré dans le vin à reculons », avoue-t-il. « Mon père venait de décéder, je suis l’aîné. C’était mon devoir de prendre la suite… » Âgé d’à peine 20 ans, Jean-Marc Grussaute ne trouve que bien peu d’intérêt dans la culture de la vigne, lui qui préfère labourer les terrains de rugby plutôt que les terres familiales de la chapelle de Rousse, sur les hauteurs de Jurançon. Là, au domaine Camin Larredya, il y découvre pourtant un métier dont il saisit petit à petit l’essence.

Pourtant, rien n’était acquis : lorsqu’il reprend les rênes du domaine, la culture de la fraise est reine même si, déjà, son père a replanté quelques vignes dont les raisins sont amenés à la coopérative. L’apprenti viticulteur se forme, découvre l’œnologie, travaille de concert et mutualise les moyens avec une poignée de voisins vignerons désireux de faire revivre une appellation alors balbutiante. L’esprit d’équipe, toujours, l’émulation et les rencontres le portent et l’amènent à chercher, observer, noter, expérimenter, et toujours se remettre en question pour donner vie à l’un des meilleurs vins français.

Jurançon

© Cyril Garrabos

Du bio à la biodynamie

À force d’observation et de tests, Jean-Marc Grus- saute a ainsi imposé sa patte et sa vision, calquée sur aucune autre. Après la micro-oxygénation, il passe au bio au début des années 2000, comme une évidence : « Il n’y avait pas uniquement l’aspect sanitaire. La bio était nécessaire pour améliorer les vins et les rendre plus denses, avec des jus plus robustes et vinifiés en bois, qui résistent à l’oxygène et aux taux de soufre considérable- ment abaissés… ». Un risque pris mais mesuré, grâce à « un réseau d’amitié » formé avec les voisins Larrieu, Pissondes et Lapouble. « Cette CUMA de l’époque fonctionne d’ailleurs toujours très bien », se réjouit Jean-Marc Grussaute, pour qui « la viticulture artisanale telle qu’on la pratique, c’est une famille ».

Puis le vigneron décide d’aller plus loin encore et bas- cule sur la biodynamie, pour notamment réduire drastiquement l’utilisation de la bouillie bordelaise et « pratiquer beaucoup plus finement la pratique de la bio ». Observations supplémentaires, calendrier lunaire, utilisation de tisane et de préparations homéopathiques… : Jean-Marc Grussaute revient à l’essentiel pour obtenir « un vin le plus naturel possible », travaillant de concert avec cette nature qui, ici, reste particulière « eu égard au climat particulier du Béarn, humide et doux » mais également pluvieux.

Le vin, « un produit culturel »

Le respect du sol et plus globalement de l’environne- ment prévaut dans le discours du Béarnais qui exploite deux fois plus de vignes qu’à ses débuts mais ne produit malgré tout pas davantage, par choix. Son « vin identi- taire », qu’il qualifie aussi de « produit culturel », s’adresse à un petit noyau d’initiés à travers le monde et ses bou- teilles sont réservées aux meilleures tables. Le vigneron de la Chapelle de Rousse n’emploie pas de commercial et ne vend plus en direct au domaine : il travaille depuis plusieurs années avec les mêmes clients et amis fidèles, avec sa « seule tête pour carte de visite ». Jean-Marc Grussaute est définitivement quelque peu hors cadre et inclassable, porté par l’instinct, accroché à ses intimes convictions et aussi discret que ses vins sont reconnus. La recette, semble-t-il, d’un succès mérité.

Jurançon

© Cyril Garrabos

Chiffres clés

14 hectares et demi de vignes

360 hectolitres récoltés lors des dernières vendanges

45 000 bouteilles produites en moyenne chaque année

5 cuvées : 3 blancs secs et 2 moelleux

2/3 de la production vendue en France, pour moitié à des cavistes et pour l’autre moitié à des restaurateurs

1/3 de la production vendue à l’export, dans environ 25 pays

Les blancs secs à l’honneur

Jean-Marc Grussaute n’a jamais manqué d’audace, ou de flair c’est selon, lui qui a rapidement parié sur une production en majorité tournée vers les blancs secs, au cœur d’une appellation où le moelleux était roi. Ce défricheur autant que précurseur aime définitivement aller là où d’autres ne vont pas, comme à Lasseube, à quelques encablures de Jurançon. Là, il a relevé le défi (voire la performance selon la Revue du vin de France) de planter 1,2 hectare de vignes sur une terre calcaire et à mettre en bouteille l’une de ses plus belles cuvées de jurançon sec : la Côte blanche.

Un groupement d’employeurs du Sud-Ouest

Jean-Marc Grussaute fait partie d’un groupement de 12 vignerons du Sud-Ouest, tous certifiés bio, dont un artisan cidrier et un distillateur. Créée il y a 16 ans et nommée « A Bisto de Nas » (à vue de nez, en occitan), cette structure permet non seulement de porter une vision collective qui promeut des vins naturels et de caractère produits dans une même région, mais également de mutualiser les ventes et la logistique. Un entrepôt commun, situé à Boé près d’Agen, ainsi qu’une boutique en ligne dédiée aux professionnels, permet aux cavistes, restaurateurs et sommeliers de se procurer directement des bouteilles de manière simplifiée, avec une seule facture et une même livraison.