Couverture du journal du 02/10/2024 Le nouveau magazine

Architectes, les nouveaux enjeux de la profession

Comme bien d’autres métiers, la profession d’architecte évolue. D’ici 5 ans, toute une génération va quitter la profession et les nouveaux diplômés ont d’autres attentes. Nouveaux outils plus collaboratifs, prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux, envie de gommer les lignes, la nouvelle génération est à la recherche de nouveaux outils techniques, d’expression et de construction. Mais, au carrefour de ces nouveaux enjeux, de la création artistique et des contraintes économiques, la profession doit composer.

Architecte

Virginie Gravière, présidente du Conseil régional de l’Ordre des Architectes de Nouvelle-Aquitaine © Atelier Gallien

Plus que jamais, la reconnaissance de tous les architectes est devenue un enjeu stratégique, presque consubstantiel pour la profession. « La reconnaissance, pour beaucoup, va souvent à celui qui construit, qui fait de la maîtrise d’œuvre classique », regrette Virginie Gravière, présidente du Conseil régional de l ’Ordre des Architectes de Nouvelle-Aquitaine. Aujourd’hui, peut prétendre au titre d’architecte celui qui est diplômé et qui a l’habilitation HMO-NP (habilitation à l’exercice de la maîtrise d’œuvre en son nom propre). « Notre Conseil travaille sur la reconnaissance de tous les diplômés », poursuit-t-elle, « qui ne sont pas HMO, mais qui ont choisi de faire autre chose, enseignant, photographe d’architecture, assistant maîtrise d’ouvrage, au sein de collectif administratif… tout un panel qui œuvre au quotidien pour la reconnaissance de l’architecture mais qui n’est pas reconnu comme tel. »

UN VRAI MALAISE

« Ça crée des divisions au sein de la profession », renchérit Matthieu de Marien, vice-président de l’Ordre régional « et au final un vrai malaise. » En témoignent les réponses au sondage soumis par l’Ordre « pour apporter de la matière auprès du ministère qui a lancé un observatoire sur la profession ». Sur les 915 retours, dont 80 % ont entre 20 et 40 ans, la grande majorité a exprimé ce besoin de reconnaissance.

Ce travail de longue haleine est repris de mandat en mandat. En effet, quand on considère que chaque année, 2 000 jeunes sont diplômés, 1 000 passent la maîtrise d’œuvre (HMO) et seulement 350 s’inscrivent à l’Ordre. « On a un panel de personnes qui ne le font pas, on essaie de comprendre pourquoi ? Il y a tous ces titulaires (18 000 depuis 2005) qui ne sont pas reconnus », estime Virginie Gravière.

VIRGINIE GRAVIÈRE EN BREF

Diplômée de l’école d’architecture de Bordeaux en 1997, Virginie Gravière est originaire de Charente-Maritime, a vécu dans les Deux-Sèvres. D’abord salariée pendant 3 ans dans l’agence d’Éric Wirth, ancien président de l’Ordre, elle s’est associée avec Olivier Martin en 2003, avec lequel elle a créé l’agence A-GraM. L’agence compte un panel assez large de programmes, « c’est notre volonté », allant de Darwin au phare et refuge de l’île de Patiras, en passant par la flotte de bateaux Bordeaux River Cruise, des châteaux viticoles, des tiers lieux, mais aussi du logement individuel : « des choses particulières, des moutons à 5 pattes. On ne veut pas être catalogués », précise-t-elle. Élue à l’Ordre depuis 2013, elle a d’abord été secrétaire adjointe puis présidente. « J’avais besoin, au lieu de râler, de m’engager au sein de la profession. C’est un engagement plus solide et investi. Il y a beaucoup de choses à faire ! » Réélue en 2021, Virginie Gravière investit ce second mandat de présidente pour 3 ans.

LA PROFESSION S’EST FÉMINISÉE

La profession s’est également beaucoup féminisée « Mais entre celles qui rentrent et celles qui portent le titre, il y a beaucoup de pertes », ajoute la présidente. « Beaucoup de femmes restent salariées ou font autre chose. Cette reconnaissance c’est aussi pour elles. » Engagé, à l’instar de l’Ordre des pays de la Loire, dans cette revendication, ce travail se fait en collaboration avec le Conseil National, et la Nouvelle-Aquitaine se porte volontaire pour être région pilote, en travaillant avec les autres acteurs : l’École d’Architecture, les syndicats… « On veut y participer d’une manière ou de l’autre. » Pour capter les jeunes diplômés, « tous devraient porter le titre d’architecte, avec des catégories, ce serait un vrai atout pour la profession », abonde Matthieu de Marien, « il faut travailler aussi sur la plus-value » : une cotisation moins chère et des propositions de services : juridique, participation à des groupes de travail, etc.

PLURIDISCIPLINARITÉ DES PRATIQUES

Avec le départ des baby-boomers, le changement générationnel s’accompagne d’une pluridisciplinarité qui commence dès les études : « On a des études pluridisciplinaires : artistiques, techniques, avec des sciences humaines, sociales… », remarque Virginie Gravière, « c’est une richesse. On ne s’appuie pas suffisamment dessus. On œuvre dans toutes les strates de la société ». L’agence traditionnelle, avec un ou plusieurs associés et des salariés, même si elle reste majoritaire, a vécu. « Il y a de plus en plus de collectifs, de coopératives », affirme Matthieu de Marien, « qui ont un fonctionnement horizontal. C’est une nouvelle façon de travailler, en collaboration avec des scénographe, sociologue, artistes, etc. ». Ils sont parfois une vingtaine de collaborateurs à investir l’architecture différemment, avec un seul inscrit à l’Ordre. « C’est dommage », se désole Matthieu de Marien.

Architecte

© Atelier Gallien – Echos Judiciaires Girondins

« L’ARCHI PRIDE »

Pour s’adresser à cette nouvelle génération, l’Ordre cultive également ses liens avec l’École d’Architecture avec laquelle il entretient de très bonnes relations, « mais on sait que c’est compliqué de mobiliser les publics », ajoute le vice-président. L’Archi Pride, la prestation de serment des jeunes inscrits avec la participation de leurs parrains, qui se termine chaque année en grande fête, est aussi un des moments forts de l’Ordre. « L’andernier, en raison du Covid, ça a eu lieu à la Fabrique Pola », souligne Virginie Gravière, « du coup, ça faisait sens car on avait axé sur la diversité des pratiques du métier. »

CHANGEMENT DE PARADIGME

La profession a beaucoup évolué et continue d’évoluer car elle doit être en phase avec les enjeux de la société. « On doit changer nos paradigmes. On a différentes expertises qu’elles soient culturelle, historique, technique ou juridique. On essaie de montrer qu’on peut accompagner les élus et qu’on est tous acteurs de la politique de la ville, avec eux et les autres acteurs de la construction : paysagistes, urbanistes, ainsi que les citoyens. » La fabrique de la ville est à repenser avec la prise en compte des 3 crises : climat, biodiversité, ressources, « mais on peut aussi y trouver quelque chose de positif. Maintenant, on va passer de la tension à l’attention », explique la présidente qui rappelle que 50 % du bâti de 2050 sont déjà sous nos yeux. « On va avoir un travail de couture, pour éviter l’artificialisation des sols. » Est-ce l’arrêt des grands programmes de projets immobiliers ? « On promeut la sobriété », confirme Matthieu de Marien. Toutes les friches ont été remplies. « C’est très positif, les architectes se forment à ça.

Il faut travailler autrement, équilibrer les territoires. On s’attache à intervenir auprès des parlementaires pour accompagner les élus pour faire les bons choix », insiste Virginie Gravière, remarquant que si certains élus sont frileux, dès qu’on parle de densité, que ça effraie les usagers, c’est parce qu’ils ont eu affaire à des projets qui n’ont pas été pensés de manière inventive.

(Après l’arrêt d’Agora), il faudrait repenser un événement, avoir une réflexion sur l’architecture

RÉFLEXION DE LA VILLE SUR LA VILLE

« On a privilégié la quantité à la qualité. Le changement de paradigme, c’est penser qualité. » Dans ce domaine, la concertation avec les habitants est indispensable.

« La densité va être mieux acceptée si les usagers participent à la concertation. On va gagner de l’espace dans son logement, de la hauteur sous plafond, des espaces verts, toute cette qualité va être mise en avant. » Il y a aujourd’hui une réflexion de la ville sur la ville : c’est l’urbanisme circulaire, répertorier ce qui est présent et trouver une nouvelle destination. « On peut intervenir différemment. Entre le logement collectif et la maison individuelle qu’on oppose souvent, il y a plein de petits programmes et de choses à inventer. »

 

Architectes

© D. R.

LE CONSEIL DE L’ORDRE POUR PROMOUVOIR LA QUALITÉ ARCHITECTURALE

Le 308 – Maison de l’Architecture en Nouvelle-Aquitaine, sis au 308 avenue Thiers à Bordeaux – réunit le Conseil de l’Ordre, la Maison de l’Architecture et le centre de formation. « On n’est pas là pour la défense de l’architecte (il y a les syndicats pour ça) mais pour promouvoir la qualité architecturale », précise la présidente. Le Conseil, qui compte 24 membres élus par leurs pairs en Nouvelle-Aquitaine, a son siège à Bordeaux et 3 pôles : Limoges, Poitiers et Pau, soit 4 vice-présidents : Matthieu de Marien (Bordeaux), Séverine Tardieu (Pau), Vincent Souffron (Limoges) et Patrick Vettier (Poitiers).

Ses missions régaliennes visent à veiller à ce que les architectes exercent dans les bonnes conditions, au respect des règles de déontologie « entre archis et avec la maîtrise d’ouvrage », au contrôle de la partie juridique « essentielle », qu’il n’y ait pas d’usurpation du titre, et à la représentation auprès des pouvoirs publics. « C’est important pendant cette période d’élection, en particulier législatives, d’accompagner les élus pour leur montrer ce que peuvent apporter les archis », souligne Virginie Gravière.

DIALOGUE DES ARCHITECTES ET DES AUTRES PROFESSIONS

Les 3 structures du 308 suivent ces différentes évolutions, ainsi le centre de formation forme des architectes diplômés sur des matériaux biosourcés, la phase suivi de chantier, la partie DET, et est « force de propositions pour des formations plus adaptées pour ce changement de paradigme ». La Maison de l’Architecture a pour mission de promouvoir la culture à travers des conférences, des expositions, et autres événements. À l’Ordre, des colloques sont organisés avec d’autres professions telles que les avocats, les géomètres et les notaires. Le colloque « Ville(s) de demain » associant architectes et avocats a permis de faire émerger des questions peu abordées.

Scindé en deux tables rondes : La ville constituée (réhabilitation) et La fabrique de la ville (co-construction du projet) il a permis de faire intervenir des élus locaux, des acteurs du cadre de vie mais aussi des philosophes, sociologues, entreprises, ingénieurs, usagers.

« 5 thématiques ont été travaillées et des propositions ont été faites », indique Virginie Gravière. « Ces regards croisés conceptuels et juridiques ont permis d’identifier des freins et de les lever avec les avocats. » Ils ont permis également de trouver des outils pour construire une ville dans un processus d’aménagement sécurisé et innovant pour les élus et les décideurs. « Cela nous a permis d’établir des propositions de modification du PLU », précise Matthieu de Marien.

On promeut la sobriété

PENSER L’ARCHITECTURE AUTREMENT AVEC TOUTES LES STRATES DE LA SOCIÉTÉ

L’événement a reçu également un bon accueil de la ville qui travaille sur un des 5 thèmes. L’Ordre développe également un partenariat avec France Nature Environnement sur l’écriture de plaidoyers. Cette volonté de communiquer, de penser l’architecture autrement, avec toutes les strates de la société se retrouve dans le regret de l’arrêt d’Agora, la biennale d’architecture : « Avec les années, l’événement paraissait trop porté par les promoteurs, mais c’est dommage car l’essence même était de porter l’architecture auprès du grand public. Ça déplaçait du monde », regrette la présidente régionale, très attachée à cette notion d’architecture du quotidien. « À Bordeaux, avec Arc-en-Rêves on a une sphère qui promeut l’architecture contemporaine. Il y a toute une base, il faudrait repenser un événement, avoir une réflexion sur l’architecture mais pas qu’avec des architectes. »

 

LES ARCHITECTES EN CHIFFRES

30 000 architectes inscrits à l’Ordre

2 587 architectes en Nouvelle-Aquitaine

+ 36,6 % d’inscrits en 19 ans

5e place des 17 régions ordinales avec 8,6 % des inscrits au Tableau national

65 % d’hommes et 35 % de femmes (contre 70/30 au national)

1 233 architectes en Gironde, dont 986 dans Bordeaux Métropole

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