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Directive CSRD : comment maintenir le cap ?

Stratégie RSE, reporting de durabilité et retour sur investissement : comment maintenir le cap dans le contexte Omnibus ?

CSRD

Mélodie MERENDA, Senior Manager ESG, Audit & Sustainability Sud-Ouest, Deloitte & Associés – Bordeaux-Toulouse © Louis Piquemil - La Vie Economique

Démarches RSE, reporting de durabilité et pérennité des modèles économiques

Pendant de très nombreuses années, nous avons bâti nos modes de production et de consommation sur une logique de ressources infinies. Un système économique linéaire mondialisé s’est ainsi développé, basé sur l’adage tristement bien trop connu : extraction, production, consommation et… fin de vie. En 2012, mon master d’économie de l’environnement en poche et fraîchement imprégnée (à vie !) des concepts de RSE et d’économie circulaire, j’entrevois la possibilité pour nos sociétés et nos entreprises de fonctionner différemment : en intégrant les principes clés du développement durable aux projets de croissance et de développement (la RSE), et en considérant le déchet comme une matière première secondaire (l’économie circulaire), c’est un nouveau champ des possibles qui s’offre, selon moi, aux acteurs économiques. Je décide alors fermement d’en faire mon métier : j’accompagnerai autant que faire se peut tous les acteurs désireux de faire du business différemment !

Continuer de générer de la richesse, mais autrement

Car c’est ça le fond du sujet : il ne s’agit pas de ne plus produire. Il s’agit de continuer de produire, mais en générant la richesse autrement. Autrement… Autrement, mais comment ? En 2012, la profession RSE n’existe pas encore, le métier est très peu répandu. Cependant, j’y crois dur comme fer. Depuis ma chère province du Sud-Ouest, j’envoie ma candidature à la direction du Développement Durable du Groupe Suez Environnement (devenu Suez par la suite). Je quitte donc la campagne girondine avec mon bagage théorique universitaire pour les tours de La Défense, très opérationnelles.

Le reporting extra-financier

Je suis directement missionnée sur le reporting RSE du groupe. En effet, la France a, la première, posé la pierre réglementaire du futur édifice européen en matière de reporting extra-financier, avec de nombreuses initiatives législatives nationales entre 2001 et 2017. Ce cadre a ensuite été harmonisé au niveau européen avec l’adoption de la directive sur le reporting extra-financier (Non-Financial Reporting Directive, NFRD), puis, avec la fameuse directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive).

La démonstration de la durabilité ne se cantonne pas à un simple exercice de reporting annuel

Concentrons-nous d’abord sur un point important : la RSE ne se limite pas à la communication des informations de durabilité dans un rapport que l’on publie à l’externe. La RSE, c’est une manière de continuer de produire et de consommer, en conciliant trois piliers : le développement économique bien sûr, mais pas que. Avec lui sont également considérés préservation de l’environnement et développement social, dans une logique de pérennité des modèles économiques des entreprises. Dans cette perspective, la démonstration de la durabilité ne se cantonne pas à un simple exercice de reporting annuel.

La Directive CSRD et les normes ESRS comme un terreau méthodologique fertile

Et c’est en cela que la Directive CSRD offre de nouvelles perspectives aux entreprises. Elle établit un cadre juridique harmonisé pour des pratiques de reporting durables et responsables en demandant à toutes les entreprises :

– d’identifier leurs sujets ESG matériels (comprendre ici « matériel » comme « pertinent » ou « significatif »), c’est-à-dire ceux qui sont porteurs d’enjeux pour leur chaîne de valeur amont, activités et opérations propres, leur chaîne de valeur aval et tenant compte des attentes et besoins de leurs parties prenantes, selon une méthodologie d’identification standardisée : l’analyse de double matérialité ;

– de communiquer des informations qualitatives et quantitatives de la même manière, afin qu’elles soient comparables ;

– de communiquer, pour chacune des dix thématiques de durabilité (cf. les dix normes ESRS thématiques en encadré), les informations relatives aux politiques mises en œuvre, aux plans d’actions déployés, aux objectifs définis dans les plans d’actions, et aux indicateurs suivis pour mesurer l’atteinte des objectifs.

Les ESRS constituent un outil de pilotage

Sur cette base-là, la Directive CSRD constitue une riche base méthodologique pour toutes les entreprises qui débutent en RSE, ou qui veulent améliorer la robustesse de leur démarche. Appréhender la Directive CSRD uniquement sous l’angle de la contrainte réglementaire est très réducteur, et bien souvent révélateur d’une mauvaise lecture des normes ESRS. Elles constituent en effet, par thématiques de durabilité, un cadre concret d’actions à mener et d’indicateurs à suivre, pour progresser dans le temps. Les informations requises par les ESRS concernant les politiques, actions, cibles et indicateurs ne sont requises que lorsque les enjeux sont considérés comme matériels. Pas de bla-bla inutile !

L’analyse de double matérialité : clé d’entrée du reporting de durabilité

La Directive CSRD conserve le concept de la Directive NFRD du « comply or explain » en rendant non obligatoire la publication d’informations RSE sur les normes ESRS E1 à G1 dès lors que l’entreprise justifie de la non-pertinence de la thématique/de l’enjeu pour son activité. L’étape de réalisation de l’analyse de double matérialité est donc indispensable pour l’entreprise dans son exercice de reporting de durabilité : c’est de cette analyse que découleront les informations matérielles/pertinentes qu’il faudra qu’elle communique dans le cadre de son rapport de durabilité, en suivant les normes ESRS.

La Directive CSRD offre de nouvelles perspectives aux entreprises

Report de deux ans pour mieux se préparer !

Publiée en juillet 2023, la Directive CSRD (Corporate Sustainable Reporting Directive) vient remplacer la Directive NFRD et la DPEF (Non-financial Reporting Directive et Déclaration de Performance Extra-Financière) et rend obligatoire la publication d’un rapport de durabilité pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024, pour toutes les entreprises de la « première vague » (c’est-à-dire les entreprises de plus de 500 salariés et un total de chiffres d’affaires supérieur à 50 millions d’euros ou un total bilan supérieur à 25 millions d’euros).

Cependant, avec la Directive Omnibus 1 « Stop the Clock », un report d’obligation de publication du rapport de durabilité de deux ans est prévu pour toutes les entreprises de plus de 1 000 salariés (et plus de 50 millions d’euros de CA ou 25 millions d’euros de bilan). Pour celles-ci, le reporting de durabilité serait donc effectif pour les exercices débutant le ou après le 1er janvier 2027. C’est Omnibus 2 « Content », normalement publiée courant 2026, qui confirmera les seuils déclencheurs de l’obligation et les standards de reporting.

Sont ainsi exclues du champ de la Directive CSRD, pour le moment et en attendant Omnibus 2 « Content », toutes les entreprises de 250 à 999 salariés (et plus de 50 millions d’euros de CA ou 25 millions d’euros de bilan). Dans ce contexte réglementaire incertain, beaucoup de ces entreprises font quand même le choix de structurer un reporting extra-financier et de publier un rapport de durabilité, et cela pour plusieurs raisons :

– Elles souhaitent poursuivre la démarche engagée, après avoir réalisé en interne leur analyse de double matérialité, et après avoir consulté certaines parties prenantes externes sur le sujet.

– Elles souhaitent pouvoir disposer d’un seul rapport de durabilité afin de répondre aux multiples demandes de leurs parties prenantes externes en matière d’informations extra-financières : clients, actionnaires, investisseurs, assureurs, prescripteurs, donneurs d’ordre, collectivités locales…

– Elles souhaitent poursuivre l’identification de pistes de réduction de dépenses (en lien avec les consommations d’eau, d’énergie, turn-over, absentéisme…).

– Elles souhaitent pouvoir se distinguer auprès de leurs investisseurs et partenaires financiers, qui tendent de manière croissante à écoconditionner leurs crédits, ou à proposer des taux d’intérêt préférentiels sur la base de critères RSE.

– Elles souhaitent identifier les risques RSE de leur chaîne d’approvisionnement dans une logique d’achats responsables, surtout lorsqu’elles exercent des activités dépendantes de chaînes d’approvisionnement complexes (textile, automobile, aéronautique, pharmaceutique, agroalimentaire…)

– Elles souhaitent identifier leurs matières premières et activités les plus sujettes aux aléas liés au dérèglement climatique.

Cette liste est indicative, bien loin d’être exhaustive, et les raisons peuvent varier selon les secteurs d’activité, les tailles d’entreprises et les territoires d’implantation. Comme nous le constatons régulièrement lors de la conduite de nos missions au sein de Deloitte, elles partagent cependant toute une même finalité : la croissance du modèle d’affaires de l’entreprise. Derrière chacune d’elles, contribuer à intégrer de la durabilité dans la gestion de ses opérations propres et le développement de nouvelles activités permet des économies et assure de la pérennité : alors, pourquoi s’en priver ?

 

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