Il ne l’avait pas prévu, pas encore en tout cas et pas dans ces conditions : David Fourtout, 4e génération de vignerons, a signé le 26 octobre la vente de son domaine des Verdots, à Conne-de-La-barde, à un milliardaire islandais déjà propriétaire depuis 20 ans du château voisin de Saint-Cernin, où il accueille les événements organisés par sa Maison Wessman (vignobles et négoce). L’affaire s’est traitée en 15 mois à partir d’un premier contact établi juste après le confinement, à l’été 2020. Róbert Wessman, brillant self made man à la double formation commerciale et médicale, est à la tête d’un empire pharmaceutique — production de médicaments génériques et biosimilaires (Alvogen et Alvotech) — mais cultive une passion éclairée pour des coins de vignoble dont il tire le meilleur. Il assiste aux assemblages et déguste à Saint-Cernin comme il le fera bientôt aux Verdots.
Sa Maison s’illustre dans le peu mais excellent, avec de petites parcelles (3 ha) : n° 1 Saint-Cernin bergerac rouge (meilleur vigneron de l’année 2018 Bergerac et Duras), mais aussi un champagne et un chardonnay de Limoux. Le Domaine des Verdots s’ajoute à ce palmarès, il vient enrichir la superficie de production avec 45 hectares en bergerac (5 appellations) et monbazillac.
HOMME D’AFFAIRES PRAGMATIQUE ET TENACE
L’homme d’affaires est pragmatique et tenace : plutôt que construire un nouveau chai très onéreux à Saint-Cernin, il a choisi de s’offrir un domaine à proximité. David Fourtout avoue avoir fait de la résistance quand un intermédiaire est venu le solliciter. « J’ai dit non plusieurs fois. » Même quand l’agent immobilier a donné le nom de l’acquéreur potentiel. L’effet de surprise passé, le viticulteur a fait appel à un groupe d’avocat d’affaires, expert-comptable, notaire, conseillers juridique et fiscal pour l’estimation ; il a insisté pour rester sur une parcelle à proximité afin de continuer à pratiquer, avec son épouse, le métier qu’il aime, héritage familial qu’il savait ne pas pouvoir transmettre à son tour, ses enfants voguant vers d’autres horizons.
Robert Wessman est venu signer en personne : son jet s’est posé à Bergerac, il arrivait de Russie…
« Róbert Wessman est venu signer en personne : son jet s’est posé à Bergerac, il arrivait de Russie. J’ai surtout des contacts avec James de Roany, directeur et maître de chai de la Maison Wessman, qui s’est illustré chez LVMH. Tous deux sont de super compétiteurs en entreprise : ils veulent être les premiers. Le domaine va bénéficier d’une formidable puissance de feu pour monter à l’export et progresser encore, en passant de 250 000 bouteilles actuellement à 400 000 prochainement. » L’attachement aux racines locales a été écouté : « mes parents resteront dans leur maison et je vais garder un écrin très haut de gamme sur la propriété des Monderys, un îlot qui ne dépassera pas 50 000 bouteilles. » Voilà une histoire de chaises musicales : celui qui vient de céder son affaire, dont le montant de la transaction ne sera pas dévoilé, est déjà investi sur une autre.
DES VINS DE CLASSE MONDIALE
« Cette vente est une opportunité pour moi, mais une chance pour l’appellation. L’impact sur l’économie locale est évident, il n’y a pas beaucoup de milliardaires dans la région… Cet investisseur a fait des essais sur de petites quantités et a voulu acheter, c’est lui qui le dit, « le meilleur bergerac » et il a trouvé que c’était nous », la modestie de David Fourtout dût-elle en souffrir.
Les Verdots, c’est déjà un bel ensemble développé avec une équipe de six personnes. La Maison Wessman prévoit d’investir fortement pour continuer à planter et organiser le chai en s’entourant des conseils du célèbre « flying winemaker » Michel Rolland. Elle va conforter l’œnotourisme, un marché déjà très solide : le caveau de 600 m2 creusé dans la roche, avec son ruisseau souterrain (climatisation naturelle pour le vieillissement des 200 barriques), attire les visiteurs, tout comme le traditionnel rendez-vous estival des Verdots en Fête.
UN RESTAURANT ET UN BAR D’AMBIANCE DEVRAIENT COMPLÉTER LE PÔLE OENOTOURISME EN 2022
Un restaurant et un bar d’ambiance devraient compléter ce pôle pour la saison prochaine. « L’éclairagiste qui a travaillé à Yquem et Cheval blanc va revoir la cave…», note David Fourtout. « On n’est pas dans le même monde. » J’ai toujours essayé de faire de l’argent avec du vin : la vente de la bouteille paie mes salariés, les investissements, les projets… Là, on inverse la donne. » Sans philanthropie aucune : il faut que cela rapporte ensuite. Róbert Wessman s’attache à reprendre d’autres domaines pour porter à 70 ha sa présence en Bergeracois. Avec sa pétillante épouse Ksenia Shakhmanova, copropriétaire du vignoble, ils se présentent à la fois comme gardiens d’un héritage et explorateurs de nouveaux horizons : un passeport idéal pour d’inattendus télescopages. David Fourtout conserve 90 hectares de terres cultivables (non classées en AOC) et bois, et 10 de vignes d’une propriété qui comptait 160 hectares.
La société Earl David Fourtout est devenue SAS Vignoble des Verdots : la marque à forte notoriété dans les circuits de distribution est bien sûr conservée et c’est avec elle que le nouveau propriétaire entend décrocher une image digne des grands noms bordelais, aux sommets de l’excellence. Et le faire savoir au monde entier.
Maîtresse de chai
Lise Sadirac a été recrutée cet été comme directrice d’exploitation et, après une période en binôme avec David Fourtout, elle va ajouter ses 20 ans d’expérience en Languedoc au regard neuf qu’elle porte sur le domaine. Elle a tenu un domaine de 160 ha en bio pendant 7 ans.