C’est le dixième ouvrage de référence sur l’histoire du Périgord depuis 1629 », assure le président Germinal Peiro, qui y voit fixé ce qui a fait son département dans l’état actuel des connaissances. « La mémoire de notre communauté de vie, celles des habitants de ce territoire depuis 400 000 ans, écrite par des auteurs passionnés. » Nouvelle Histoire du Périgord constitue une somme de savoirs qui n’avait pas été produite et réunie depuis celle publiée chez Fanlac en 2000, déjà dirigée par Bernard Lachaise, éminent historien de l’université de Bordeaux et ancien directeur de la fac d’histoire. Et qui fera date avant que d’autres universitaires se penchent sur un projet aussi ambitieux, tant les connaissances y sont renouvelées pour mieux aborder notre réalité actuelle.
Michel Combet et Bernard Lachaise ont dirigé et coordonné cette publication : le premier a traité la période moderne, entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine (fin XVe-1815), celle-ci étant la spécialité du second. Une équipe pluridisciplinaire de conservatrices, archéologues et historiens, chacun expert dans sa période, les a entourés pour fournir des documents souvent inédits : chantiers de fouille et recherches ont livré bien des secrets ces dernières années.
RETRACER UNE SI LONGUE HISTOIRE
Le domaine de la préhistoire est probablement celui qui connaît le plus d’évolutions dans les découvertes et fait remonter notre humanité toujours plus loin dans le temps. La directrice du musée national de préhistoire des Eyzies, spécialiste du paléolithique, Nathalie Fourment, donne le ton du renouvellement apporté dans sa contribution. « La préhistoire, sa définition, est déjà un sujet en soi. Je souhaitais aussi montrer l’histoire de la préhistoire car il est aussi question, en Périgord, de l’émergence de cette discipline à la fin du XIXe, avec des termes connus dans le monde entier. » Magdalénien, Moustérien… des périodes liées à des gisements de la vallée de la Vézère.
Fixer la mémoire de ce qui fait le département dans l’état actuel des connaissances
« Les chantiers d’archéologie préventive ont permis de révéler des informations majeures sur des sites paléolithiques, qui ont changé les chronologies mais aussi les perceptions de ces sociétés, de leurs productions économiques et culturelles. » Des sites comme La Micoque font l’objet de reprises depuis dix ans et sont réabordés avec de nouvelles problématiques et exigences, en s’appuyant sur des données très anciennes. « J’ai utilisé des systèmes d’encarts pour porter le focus sur Denis Peyrony au Moustier ou encore sur la découverte et la conservation de grottes ornées. »
LIEUX D’EXCEPTION POUR LA PROTOHISTOIRE
Eneko Hiriart aborde la protohistoire avec le souhait d’éclairer un patrimoine méconnu : la région est pourtant d’un intérêt majeur pour cette période riche d’événements qui ont changé l’histoire du monde, comme l’élevage ou la monnaie. Là encore les connaissances ont été formidablement renouvelées. Le site des Vaures, décou- vert près de Bergerac lors de fouilles préventives, a permis d’apporter des données en grande quantité : ce village du Néolithique est unique à l’échelle nationale, avec plusieurs dizaines de maisons. Le site de La Peyrouse, à Saint-Félix-de-Villadeix, est l’autre découverte récente, en cours de fouilles depuis 2020 : « c’est l’une des plus anciennes villes gauloises d’Europe, sur plusieurs dizaines d’hectares, avec des traces d’artisanat quasi-industriel lié au fer, au verre, au bronze, et on y a découvert le premier temple gaulois en Aquitaine ».
UN ESPACE ANTIQUE PROGRESSIVEMENT AMÉNAGÉ
Élisabeth Pénisson et Hervé Gaillard ont dénoncé l’idée reçue sur l’Antiquité « qui veut que le Périgord sorte des brumes avec un acte fondateur, la construction politique de son espace et la cité des Pétrucores. On a toujours eu l’impression que ce territoire est dessiné de façon verticale depuis Lyon par l’empereur Auguste, avec la grande province d’Aquitaine et des élites auxquelles on confie le soin de créer des capitales. Cela se construit plutôt pas à pas, la ville va émerger sur un siècle avec ses monuments, et cette naissance est conditionnée par son espace naturel. Les bassins versants ont constitué le territoire de façon assez homogène ». Autre cliché mis à mal : l’idée d’une ville de Périgueux seule dans un espace rural quasi-désert. « Il existait des agglomérations secondaires, des relais. » Enfin, les invasions barbares n’ont pas abattu la civilisation romaine : « c’est un épiphénomène, pas un moment de rupture chronologique ; un âge d’or a suivi avec une richesse matérielle de grandes familles. Depuis 20 ans, on a fait un bond considérable dans la connaissance de l’occupation du sol, sa variété, ses formes ».
Découverte importante, on a enfin réussi à prouver la présence de wisigoths à Saint-Laurent-des-Hommes
Et, découverte importante, on a enfin réussi à prouver la présence de Wisigoths, à Saint- Laurent-des-Hommes (fouilles de l’Inra, 2010), avec une petite communauté culturelle installée au milieu du Ve siècle : 34 tombes ont été identifiées dans un cimetière de 360.
CHARNIÈRE HISTORIQUE DU MOYEN ÂGE
À la fin du Ve siècle s’épanouit le christianisme primitif. C’est Ézéchiel Jean-Courret qui aborde le vaste pan des mille ans d’histoire de la période médiévale, les chapitres les plus longs à rédiger. « Ce n’est pas l’histoire d’un Périgord replié sur lui-même et c’est ce qui me plaît. Des faits sont particuliers à notre histoire, largement connectée au monde et aux autres sociétés. Nous sommes profondément associés à des mouvements dont le Périgord est un maillon. À la charnière historique du dedans et du dehors. » En se greffant au roman national. « Le jeu ne consiste pas à casser des mythes mais de comprendre pourquoi ils ont été fabriqués et de proposer de nouvelles hypothèses. »
Avec le début du christianisme, la fabrique du diocèse mise en place pour unifier est une innovation pour implanter la foi dans une société. « Ses échelons administratifs ne naissent qu’à partir du Moyen Âge central, plus tard qu’on le croit. Cela devient la fabrique des territoires, avec un mosaïquage d’entités : diocèse, comté, maillage de pouvoirs ecclésiastiques et châtelains empêchent de lire une unité territoriale. Ce n’est pas la logique des médiévaux : ce maquis de territoires leur permet d’avoir des acteurs différents pour gérer leurs droits. »
EN ÉCHO AUX CRISES ACTUELLES
L’auteur veut en finir avec ce Moyen Âge qu’on ramène à un âge moyen : « situé entre deux renaissances, l’Antiquité et la Renaissance humaniste », il est certes sombre mais il innove avec une forte communauté intellectuelle, les cartulaires de l’abbaye de Cadouin suffisent à se convaincre de la production écrite. Les crises qui noircissent le tableau médiéval ne sont pas sans rappeler celles que nous traversons, crises pandémique, agraire et démographique, associées à des bouleversements climatiques avec le petit âge glaciaire. « On peut apprendre de la façon dont les hommes ont géré ces crises : très à distance des pouvoirs centraux, ces communautés sont face à elles-mêmes. Elles vivent une maturation politique, une expression artistique remarquable, des prouesses techniques en architecture et une qualité d’adaptation. »
LE LIVRE NOIR DE PÉRIGUEUX RETROUVÉ
Michel Combet note que le renouvellement historiographique est moins important pour la période moderne qui va jusqu’à la Révolution, avec un pouvoir central qui veut réduire les autonomies, notamment celles des villes.
Il trouve pourtant une source inédite avec Le Livre noir de Périgueux pour la période 1541-1618, ouvrage disparu au début du XIXe siècle et reconstitué par bribes, avec un projet de réédition aux archives départementales de Dordogne. « Il renouvelle la vision de la vie à cette époque, avec notamment des commentaires sur les guerres de Religion. » Autre apport : la vision culturelle que l’on a de cette période, supposée souffrir de retard. Les rares inventaires de bibliothèques, biens culturels que les notaires considéraient sans grande valeur, montrent que le livre était présent aussi bien dans les châteaux que les résidences urbaines de bourgeois. « Les Lumières brillaient en Périgord, avec un intérêt particulier pour les progrès agronomiques : les subsistances étaient insuffisantes pour une population augmentée en temps de paix. » Les élus locaux sont confrontés à la nécessité de la nourrir pour éviter des soulèvements. Après la chute de Robespierre, période des cinq dernières années de la Révolution moins explorées que les premières, se construit localement l’apprentissage de la démocratie dans une lutte entre jacobins et royalistes, sur fond de coups d’État successifs au niveau national.
UN MONDE RURAL DYNAMIQUE
Enfin, Corinne Marache et Bernard Lachaise abordent le cycle contemporain de deux siècles en situant le Périgord au regard du destin national, en l’observant au-delà des villes principales et en montrant que de grands noms ont marqué la vie culturelle et politique. Les idées républicaines ont mis du temps à triompher face à la puissance du bonapartisme. Puis les radicaux et les socialistes s’imposent, surtout dans l’entre-deux- guerres. Et la tradition de gauche dure jusqu’à nos jours en Dordogne. « La grande nouveauté pour la période contemporaine concerne la vie rurale, avec une correc- tion de la vision misérabiliste du XIXe, peut-être victime d’Eugène Le Roy. » À ce constat de Bernard Lachaise, Corinne Marache ajoute que des structures ont fait la promotion de nouvelles pratiques agricoles autour des comices, que le développement du chemin de fer et, plus tard, le tracé de l’autoroute ont irrigué le territoire et ouvert l’économie. « Par rapport à d’autres départements aquitains, le Périgord a repensé son modèle agricole avec l’agrotourisme et la culture biologique. Et la fin de certaines industries cache l’essor d’autres pans économiques. » L’une des plus éclatantes réussites revient au secteur touristique, la plus belle vitrine du Périgord en France et dans le monde.