Couverture du journal du 22/11/2023 Le magazine de la semaine

Freelances, mode d’emploi

Le télétravail pendant la crise sanitaire a accéléré la tendance à l’autonomie : les freelances se détachent du monde de l’entreprise tout en gardant un lien avec lui. Le nouveau livre de Frédérique Genicot, coach et consultante en Périgord et à Paris, donne aux dirigeants et RH un mode d’emploi de ces ressources extérieures.

Frédérique Genicot freelances

Frédérique Genicot © Loïc Mazalrey

La Vie Economique : Comment s’organise l’intégration des freelances ?

Frédérique Genicot : « C’est un mouvement général : des professionnels ne veulent travailler qu’ainsi et ces indépendants sont de plus en plus nombreux dans les TPE comme dans les grands groupes. Le livre traite aussi des prestations intellectuelles, mais absolument pas des activités uberisées. Toutes les fonctions sont aujourd’hui couvertes par les freelances, historiquement l’informatique-technique, puis la communication-marketing et les fonctions supports. Les entreprises se structurent pour gérer ces liens en direct, par leur service achat pour éviter des sous-traitants onéreux, en considérant les freelances comme des fournisseurs. Des partenaires historiques, ESN SSII, agences conseils, plateformes numériques spécifiques ou généralistes, comme Malt, peuvent apporter un sourcing rapide et suivre la mission. 30 % des entreprises s’organisent en direct, c’est possible jusqu’à dix freelances. »

À la manière d’une marque employeur, il faut se demander comment attirer les indépendants et assurer leur suivi collaboratif

LVE : Quel est le rôle des services RH ?

F.G. : « La majorité des RH ne savent pas combien de freelances fréquentent l’entreprise car ils n’entrent pas dans leur système d’information : ils ont pourtant un rôle à jouer car ces talents, qui apportent d’autres cultures à l’entreprise, ne veulent pas y travailler autrement. À la manière d’une marque employeur, il faut se demander comment attirer les indépendants et assurer leur suivi collaboratif en interne sans qu’il s’apparente à un suivi salarié, en passant d’une logique de fiche de poste à une logique de brief. Ce qui intéresse un freelance, c’est le contenu de la mission et son organisation, la rémunération vient ensuite. L’intégration, souvent faite par des opérationnels, doit s’adapter à ses spécificités et bien se dérouler jusqu’à son départ. Il faut donc former les managers à ce type de suivi, pour fidéliser les freelances qui ont un fort pouvoir de prescription. »

Cela permet de gagner du temps, de l’argent, avec des ressources humaines immédiatement disponibles

LVE : Quels sont les avantages de travailler avec eux ?

F.G. : « La flexibilité est aujourd’hui bien plus qu’une réponse économique : l’entreprise trouve plus vite en statut freelance les talents qu’elle n’attire plus au format salarié. Pour recruter, il faut souvent miser sur la mobilité interne et former — la durée de vie d’un savoir technique est maintenant de 12 mois. Les indépendants ont des compétences aussitôt mobilisables. Y recourir élargit aussi le bassin d’emploi, pour aller chercher des ressources plus loin, surtout en milieu rural. Et, surtout, la mutation de société fait qu’on ne peut pas s’en passer : 30 % des cadres disent qu’ils se mettront un jour à leur compte, certains combinent aussi les deux. »

LVE : Et les inconvénients ?

F. G. : « Il faut veiller à ce qu’un contrat commercial ne soit pas requalifié en contrat de travail : durée de mission précise, lieu de travail, client non exclusif, flexibilité horaire, absence de lien de subordination… L’entreprise peut justifier qu’elle n’a pas la ressource en interne et a besoin d’une expertise qualifiée. La rupture du contrat, de part et d’autre, est aussi un risque, tout comme la confidentialité et la sécurité car les interventions portent souvent sur des questions stratégiques. »

freelances

EXPERTE EN POTENTIELS MULTIPLES

Née en Belgique, Parisienne pendant 20 ans, Frédérique Genicot s’est installée en 2022 près de Périgueux, sur le causse de Sorges. Économiste, ex-cadre dirigeante, entrepreneure depuis 2006, elle a accompagné des entreprises, des slashers et pluriactifs, et s’est spécialisée dans l’accompagnement d’entrepreneurs multipotentiels. Elle a déjà écrit deux ouvrages de référence sur le sujet : Adieu salariat, bonjour la liberté ! chez Eyrolles, en 2019, et Multipotentiels, chez Dunod en 2021. Elle publie cette rentrée chez Dunod Freelances en entreprise qui prolonge la réflexion en se plaçant du point de vue de l’entreprise et anticipe la montée en puissance des talents externes.

COMBIEN DE FREELANCES EN FRANCE ?

L’indépendance recouvre plusieurs statuts : microentreprise, société, portage salarial, coopérative d’activité salariée, collectifs de freelances… La création d’entreprise est un premier marqueur (+ 2 % en 2022), avec 60 % en microentreprise. Dans la population active, on compte 13,2 % d’indépendants pour 10,8 % en 2008. Une étude Eurostat comptabilise les travailleurs indépendants hautement qualifiés à 1,2 million en 2021 (pour 523 400 en 2008). Une autre étude de 2021 (Insee, Urssaf et Dares) dénombre 587 000 indépendants en 2009 pour 1 million en 2019. 40 % d’entre eux ont entre 29 et 44 ans, et se sont installés après avoir structuré leur façon de travailler dans le salariat chez de grands groupes.