Voici tout d’abord ce qu’est la médiation : « La médiation est un processus structuré, volontaire et coopératif de prévention et de résolution amiable des différends qui repose sur la responsabilité et l’autonomie des participants. Initiée par les intéressés eux-mêmes, leurs conseils, les représentants d’une organisation ou un magistrat, la médiation fait intervenir un médiateur dûment formé, tiers indépendant, neutre et impartial. Facilitateur de communication, sans pouvoir de décision, ni rôle d’expertise technique ou de conseil, le médiateur favorise le dialogue et la relation, notamment par des entretiens et rencontres confidentiels. » (ANM – Association nationale des médiateurs)
L’année 2020 et l’année 2021 en cours, sont souvent rassemblées dans l’expression « période de crise ». A tel point que la datation des évènements individuels s’effectue en termes de « avant », de « au début de la crise » ou « au milieu de », utilisant les confinements comme des périodes de l’année. Ainsi, pour nous situer dans le calendrier, nous entendons souvent : « C’était pendant le premier confinement » ou « juste avant le deuxième confinement ». Ce terme « crise » ainsi utilisé, rassemble la crise de la situation sanitaire, mais aussi la crise de la situation économique et la crise sociétale qu’elle engendre. Son usage en est devenu tellement courant qu’il sert de terme générique, pour signifier que la situation est très difficile, mais sans en distinguer les différents points de vue, et sans nommer la crise individuelle, celle qui est propre à chacun, à chaque entreprise, à chaque classe de collégiens, à chaque institution.
Le discours qui en découle fait alors confusion, et il fait impasse. Il semblerait que tous les hommes et les femmes de notre région, de notre pays, de notre continent, de notre planète soient « dans cette crise », comme ils seraient dans le même bateau, vivant les mêmes choses. Ce discours rend les choses universelles et non plus singulières, propres à chacun. Cette façon d’être noyé dans la masse, sans plus de repères, est générateur d’une grande angoisse et il bloque l’esprit sur un état d’insatisfaction, l’empêchant d’accéder à ses capacités de création et d’imaginer des solutions adaptées à chaque situation, pour savoir y faire avec ces évènements.
C’est pourquoi il est urgent de parler à échelle humaine, où la singularité de chacun peut se faire entendre. C’est une ouverture salutaire. La médiation ouvre cette porte, en offrant un espace privilégié à la parole de chacun. Une situation difficile peut s’envisager au sein d’un conflit. Conflit entre salariés d’une entreprise, entre associés, entre deux ou plusieurs entreprises, entre propriétaires et locataires…, mais elle peut aussi s’envisager, avant tout conflit. C’est une façon de gérer les différends existants, mais pas seulement. Ce qui est au cœur du processus de médiation, ce sont les relations entre les personnes impliquées par un contrat, par un projet, par la gestion d’une situation… Elle permet d’anticiper différents évènements qui auraient des répercussions sur ces relations.
Depuis les années 60, quand il est question de discours sur ce qu’est une crise, nombre d’intervenants occidentaux, utilisent l’origine chinoise du terme car celui-ci rassemblerait deux concepts : celui de danger et celui d’opportunité. Le concept d’opportunité semble être une possibilité de dérive linguistique. Cependant, ce terme rassemble bien deux notions qui éclairent notre propos. L’étymologie japonaise du mot crise fait effectivement référence à deux notions :
- 危機 Kiki : signifie une situation très difficile, de grosses difficultés.
- 岐路 Kiro / 重大な岐路 Jūdai na Kiro : signifie quand (= le moment où) il est pris une décision cruciale dans la vie personnelle d’un individu ou dans sa destinée.
« Ki » c’est une fourche (Y), un embranchement, « Ro » c’est une route.
La métaphore est : « le moment de faire un choix ». Ces deux significations sont différentes, mais pas complètement car il existe un point commun entre elles : la notion d’urgence. L’urgence en japonais, s’écrit 緊急 et se lit Kinkyū.
La médiation, en redonnant la capacité aux personnes d’inventer leurs solutions, permet à chacun d’être acteur de son devenir.
Il y a donc dans le terme crise, la notion de grande difficulté et d’un moment de faire un choix crucial, dans un contexte où l’urgence compte. C’est une façon d’être au centre des choses et des changements, avec des décisions à prendre sans tarder. Cette explication étymologique met en valeur tout l’apport du regard et de l’action d’un tiers compétent et diligent, à ce moment crucial. Le processus de médiation, en redonnant la capacité aux personnes d’inventer leurs solutions, de se parler au lieu d’être parlé, permet à chacun d’être acteur de son devenir.
Connaissez-vous ce lieu à Nice, plus précisément dans la vieille ville, nommé « La porte fausse » ? Qu’est-ce que cette porte fausse vient faire là ? Nous parlons de sortir d’une situation difficile, d’y trouver une porte. Alors, voici l’histoire de la Porte fausse. Tout d’abord précisons que le nom « la porte fausse » pourrait inspirer qu’il s’agit certes d’une histoire de passage, d’une ouverture, d’une traversée, mais qu’elle serait fausse. Qu’est-ce à dire ? Une porte existe ou bien elle n’existe pas. Ici, elle est fausse. « Fausse » vient du verbe feindre qui a pour sens « modeler dans la terre », et aussi « imaginer, inventer ». Il s’agit donc de bien autre chose que de fausseté au sens de ce qui est vrai ou de ce qui ne l’est pas. Cette porte parle d’invention. Elle existait pour permettre à quelqu’un qui serait du « vieux », sous-entendu du vieux Nice, de regagner l’autre partie de la ville, en cas de conflit. « La porta faoussa » !
Cette porte constitue un passage étroit entre la vieille ville et les rives du Paillon, aujourd’hui recouvertes par la coulée verte, une zone de promenade. Un passage entre la ville haute et la ville basse. Il est dit qu’elle donnait accès au quartier « Lou Bersalh », ce qui en langue niçoise veut dire « la cible », car il existait une aire de tir à l’arc dans ce quartier. Du boulevard Jean Jaurès, « la porte fausse » donne accès à la rue du marché, au carrefour de la rue Francis Gallo. C’est la rencontre avec un homme âgé, ayant vécu dans le vieux Nice depuis son enfance, tailleur de pierres comme l’était son père, qui a éclairé le nom de cette porte dite fausse. En 1946 ou 1947, son père refaisait l’ouvrage du XVIIIe siècle, ouverture, escalier, fontaine et il passait le voir travailler, quand il revenait de l’école du port avec ses copains. Il passait le voir, et aussi il donnait un coup de massette. Un coup de cet outil fait pour la taille des pierres. La pierre qui a été choisie alors, est une pierre de taille. Une pierre saine, mais pas une pierre de taille fine, une pierre de la Turbie. Son père disait d’elle : « Elle a le gorgonzola dedans ! », car elle contient des petits points mous verdâtres en son sein.
La médiation ou comment sortir d’une situation difficile
L’homme à qui appartenait l’immeuble au XVIIIe siècle était luthier. La porte, d’un côté donnait vers la ville moderne, et de l’autre par ses caves, vers la vieille ville. Bon nombre d’habitants lui demandaient d’emprunter ce passage. A sa mort, il a légué son immeuble avec la consigne d’y faire un passage. Il s’avère que ce passage était beaucoup utilisé par les personnes qui voulaient, quelle qu’en soit la raison…, sortir d’une situation difficile. Il n’y a plus de porte, mais un escalier qui aboutit à une ouverture voûtée, qui en son sommet possède la pierre, appelée « la Madonna », celle qui tient l’édifice et permet ces passages clandestins. Povra Madonna ! Ou heureuse Madonna ! La femme qui fait clé. Pour un luthier, permettre de passer par la femme qui fait clé est une belle métaphore. Ce luthier devait travailler à la perfection, et tant de perfection lui aurait donné ce désir de commettre un peu d’imperfection. Alors pour ne pas se trahir et malmener des instruments destinés à faire des notes justes, il a fait faire une porte fausse ! Ce passage poétique du vieux au nouveau monde, à utiliser en situation difficile, est un beau détour pour évoquer l’inventivité et la variété de ce qui se créé en médiation. Osons la médiation, ça marche !