Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Le dernier meunier des Pyrénées

Sur la crête du château de Gaston Fébus, Pierre Cabarrou perpétue la tradition familiale qui a vu cinq générations de meuniers. Hydraulique, le Moulin de la Ribère fascine ses visiteurs et moud des farines de meule à l'ancienne, un produit de niche que s'arrachent les boulangers.

Pierre Cabarrou, meunier au Moulin de la Ribèr

Pierre Cabarrou, meunier au Moulin de la Ribère © Lilian Cazabet

Nichée à Mauvezin, la maison est un petit havre de paix. Entre les canards et les poules qui se partagent le jardin, la verdure environnante et le calme savoureux, rien ne laisse deviner l’agitation qui se joue derrière la façade de pierres. L’Arros, rivière qui suit la route, est toute proche et c’est elle qui aura déterminé le destin du lieu. La force de l’eau fait vivre le Moulin de la Ribère et si les Hautes-Pyrénées ont compté jusqu’à 1 653 moulins en activité, Pierre Cabarrou est aujourd’hui le dernier meunier du département : « On trouve quelques meunier-boulanger-paysans mais ce n’est pas le même métier, il n’est pas soumis aux mêmes obligations, nous n’avons pas le même statut. Pour pouvoir exercer, j’ai dû avoir le contingent, c’est une sorte de licence qui permet de pouvoir moudre le blé ».

VICTIME DE L’INDUSTRIALISATION

A 73 ans, rien ne le prédestinait à passer sa retraite entre les meules et les turbines. Rien et peut-être tout : il est né et a grandi ici. « On peut dire que je suis meunier depuis 73 ans, avec une coupure, évidemment, » plaisante le Bigourdan. « Mes parents, mes grands-parents, tous étaient meuniers, je suis la cinquième génération. Dans les années 60, l’activité s’est arrêtée, victime de l’industrialisation. J’étais assez jeune mais j’ai eu la chance de pouvoir apprendre le métier avec mon père, avant. J’ai exercé une autre profession mais à la retraite, à 55 ans, je n’ai pas pu me résoudre à laisser tomber le moulin ».

UN MOULIN FAMILIAL DEPUIS 1810

En 2007, Pierre crée une association dont le but était d’abord de conserver ce petit bijou du patrimoine dont la construction est bien antérieure à la Révolution Française. La date exacte est incertaine mais les recherches du meunier ont établi qu’en 1710, il était déjà répertorié aux archives municipales ainsi que l’acte de son droit d’eau. « Il a été racheté sous Napoléon en 1810 par un oncle de mon arrière-grand-père qui travaillait pour les moines. Avec un tel passé, c’est difficile de voir disparaître le moulin. Continuer, c’est aussi respecter ceux qui ont écrit son histoire ». Celle-ci va de pair avec celle du département, sept minotiers sont venus remplacer les 1 653 moulins, exit les meules à l’ancienne et place aux cylindres en fonte ou acier qui aplatissent la farine. Tous arrêtent dans les années 80 n’étant pas assez compétitifs par rapport à la production nationale industrielle. Les moulins deviennent des vestiges, certains tombent à l’abandon, d’autres des curiosités touristiques et en 2009, le Moulin de la Ribère s’ouvre lui aussi aux visiteurs.

Les moulins deviennent des vestiges ou des curiosités touristiques

MOULIN CERTIFIÉ BIO DEPUIS 2013 POUR L’ENSEMBLE DE SES FARINES

En découvrant cet homme qui a le matériel et le savoir-faire, une question s’impose vite à eux : pourquoi ne pas reprendre le flambeau ? « Inconsciemment, je devais vouloir faire de la farine, répond le meunier. Mais pas n’importe laquelle. Les traitements qu’il y a dans les blés et toutes les céréales, depuis avant la semence jusqu’à après les récoltes… Je ne voulais pas travailler comme ça, à mon âge j’ai connu une autre époque et je sais qu’on peut faire autrement ». C’est ainsi que le moulin est certifié en bio depuis 2013 pour l’ensemble de ses farines, qu’elles soient de blé, de maïs, de petit épeautre ou dites anciennes.

Rencontre avec un meunier bénévole, Pierre Cabarrou, qui fait découvrir sa passion pour la farine aux visiteurs durant l'été

© Lilian Cazabet

CINQ TONNES DE FARINE BIO PAR MOIS

Une philosophie qui a très vite séduit les professionnels, la production actuelle est d’environ 5 tonnes par mois. La demande dépasse l’offre et tant dans les boulangeries que les pizzerias où est utilisée cette précieuse matière première, la provenance de la Ribère est devenue un vrai argument de vente. « Ce n’est pas une grosse quantité, il faut respecter l’âge du moulin et l’âge du meunier aussi, s’amuse Pierre. On travaille avec l’eau et elle est de plus en plus rare, donc le moulin va de plus en plus doucement. Quand j’ai commencé, le débit était tel que j’arrivais à faire 25-30 kilos de farine à l’heure. Aujourd’hui, avec le niveau de l’Arros, je fais 10 kilos… Quand les industriels, eux, font dix tonnes. On ne peut pas vivre de ça ». S’ils ne jouent pas dans la même catégorie, les arguments de la Ribère font pourtant le poids et le succès de ses farines est total. A l’heure où une alimentation plus saine est devenue une vraie préoccupation, les farines de meule offrent des qualités liées à leur mouture si particulière avec les meules en silex. En œuvrant doucement à 90 tour/minute, elles permettent de ne pas faire chauffer la farine. Un point crucial comme l’explique Pierre : « Au-dessus de 50 °, une farine est morte, toutes les protéines et vitamines sont détruites. Quand la farine sort de la meule, elle est entière. Il y a tout ce qu’il faut, notamment du gluten naturel ».

La provenance de la farine est devenue un argument de vente

Pierre Cabarrou, meunier au Moulin de la Ribèr

Pierre Cabarrou, meunier au Moulin de la Ribère © Lilian Cazabet

TROIS MEULES ET MILLE HISTOIRES

Un univers à part que découvrent les novices lors des stages de fabrication du pain. Là encore, l’engouement est total, toutes les sessions sont complètes. Au-delà des secrets de fabrication, une journée avec Pierre équivaut à pousser les portes d’un monde passionnant, empli d’anecdotes, de savoir, de savoir-faire et de parfums d’un temps révolu : « J’ai connu l’époque de mon grand-père où les paysans venaient, attachaient leurs ânes et remplissaient leurs sacs de farine pour rentrer faire leur pain. Je suis sûrement un des derniers à pouvoir en parler en l’ayant vécu. Je reçois encore aujourd’hui des personnes qui sont de la génération de mon père et qui se mettent à pleurer en venant au moulin, ça leur rappelle une époque où c’était vraiment le besoin de manger qui motivait le trajet ».

Je reçois des personnes de la génération de mon père qui se mettent à pleurer en venant au moulin

L’heure de la visite dominicale commence, les premiers invités arrivent et découvrent, subjugués les trois meules où sous les roues la rivière impulse son énergie, les turbines tournent et l’enchantement devant ces perfections de technologie est entier. Métier dit d’autrefois, la meunerie semble soudain plein d’avenir.

 

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