Discret, caché sous une casquette vissée sur sa tête, Emmanuel Mouton semble davantage à l’aise au milieu de ses animaux que de ses congénères. Et pourtant, depuis 2008, c’est lui le visage de la réserve de Calviac, son fondateur. À l’image du créateur du lieu, les quelque 250 animaux sont discrets, eux aussi. Loin des parcs commerciaux que l’on connaît, le directeur de la réserve a tout fait pour recréer l’environnement naturel de ses locataires. « Ici, ce n’est pas fait pour rassembler les foules, les espèces ne sont pas forcément visibles au premier coup d’œil, il faut chercher, c’est plus exigeant, mais plus gratifiant », souligne le directeur de la réserve qui accueille 45 000 visiteurs par an.
Le plus discret de tous : le vison d’Europe, « le carnivore le plus menacé au monde », occupe sept enclos différents, afin de pouvoir séparer les couples, mais aussi favoriser la reproduction. « La conservation des espèces menacées n’est pas l’apanage des contrées tropicales », milite le géographe de formation. Pour la protection de l’animal, le parc a reçu un financement de 200 000 euros de la Dreal en juillet 2024. Cela va permettre la création de 20 enclos supplémentaires et donc l’accueil de 20 individus en plus. Hors de la zone accessible au public, ce projet permettra la réintroduction de l’espèce dans son milieu naturel.
Sept programmes de préservation
L’objectif pour Emmanuel Mouton est de tendre toujours plus vers la protection des espèces menacées. C’est d’ailleurs pour cela, qu’à la création du parc, en 2008, il choisit le nom de réserve zoologique afin de « retranscrire l’idée d’un établissement le plus naturel possible et dédié aux espèces menacées ». Et il explique : « Plus l’espèce est petite, plus il est efficient de les protéger dans des parcs : il est plus facile de créer des colonies d’élevages et de préserver le milieu ». Ainsi, la réserve fait partie de sept programmes de préservation, pour un investissement de 20 000 euros par an.
Constitué de 2,7 hectares lors de l’achat du domaine Sous le roc, le parc couvre aujourd’hui 7 hectares (dont la moitié seulement est exploitée), mais aurait pu ne jamais voir le jour en Dordogne. Pour son projet, qu’il porte depuis sa plus tendre enfance, Emmanuel Mouton avait d’abord préféré la Provence, et le village de Mons, où sa famille possédait une propriété. Dès 2003, il se lance dans les démarches, sans succès. Alors en 2006, l’ancien chef soigneur se décide à prendre une carte, et trouver le lieu idéal pour son parc. « Pour des raisons climatiques, je ne pouvais aller que dans le Sud, mais pas dans des zones montagneuses, et je cherchais une zone touristique dans une région accueillante. Il restait alors le Lot-et-Garonne et la Dordogne ». Face à la notoriété de Sarlat, le directeur appelle une agence immobilière de la région qui lui présente Sous le Roc. Un coup de foudre s’opère, et le maire de la commune soutient immédiatement le projet.
En juillet août, la réserve réalise les 2/3 de son chiffre d’affaires qui a atteint 600 000 euros en 2023
600 000 € de CA
L’EURL (depuis devenu SCIC) Réserve zoologique de Calviac est née. Emmanuel Mouton rachète le terrain pour 100 000 euros et obtient un emprunt de 500 000 euros grâce à la Nef, qui soutient des projets à valeur sociétale, culturelle et écologique. Forte d’une trentaine de sociétaires (des anciens stagiaires, des bénévoles, le fonds de dotations, des entrepreneurs locaux…), la SCIC repose sur « le principe démocratique : une personne, une voix, mais aussi un statut qui puisse pérenniser la structure pour éviter les problèmes quand la personne fondatrice disparaît ».
Depuis l’inauguration en 2008, 45 espèces sont pensionnaires au parc et neuf salariés sont sur le pont au quotidien, renforcés par deux saisonniers l’été. En juillet et août, la société réalise les 2/3 de son chiffre d’affaires, qui a atteint les 600 000 euros en 2023. En tant qu’entreprise relevant de l’économie sociale et solidaire, la totalité est réinvestie. Pour l’heure, cela sert surtout « aux frais d’entretien et quotidiens, au remboursement du prêt, au paiement des salaires ». La vente des billets d’entrée représente environ 80 % du chiffre d’affaires, la boutique et la petite restauration environ 18 % et les dons 2 %. « Nous voulons développer le mécénat. Notre premier prêt se termine en 2027, et notre objectif est de ne plus jamais emprunter et être à l’équilibre, et que les investissements soient financés par le mécénat », imagine l’ancien soigneur.
18 projets pour les 10 ans à venir
Mais la réserve n’est pas sans projet pour autant. À la création de la SCIC en 2013, des projets sur dix ans ont été listés. Tous ont été réalisés. « Nous voulions trouver une solution pour les faussas, car la femelle peut rester avec les petits mais pas le mâle, donc on a construit une volière supplémentaire, nous avons créé une salle pédagogique, introduit des reptiles, étendu la zone Afrique occidentale avec les hippopotames pygmées… », détaille le directeur. Qui renchérit : « Nous avions estimé avoir besoin d’un million d’investissement, et nous avons réussi à faire énormément nous-mêmes, et ça ne nous a coûté qu’un tiers de la somme ».
Fort de ces réussites, le directeur de la réserve de Calviac regarde vers l’avenir et prépare le plan 2025-2035, avec quatre piliers : « la conservation, l’éducation et la formation, le renforcement de l’attractivité, et une gestion écologique d’excellence ». Au total, 18 projets ont déjà été identifiés. Parmi eux : le vison d’Europe. « Nous devons en réintroduire un en Charente en 2025. Un enclos devrait être créé sur les bords de la Charente, et on va l’ouvrir, tout en continuant de venir le nourrir, et petit à petit le laisser. » Il s’agit là du plus gros projet du parc. Les tapirs doivent aussi déménager, et leur enclos va devenir une volière sud-américaine. « Nous travaillons aussi sur une serre, qui reproduirait le biotope de Sahamalaza, à Madagascar. Notre ambition est de devenir une réserve zoologique et botanique. C’est-à-dire reproduire ce que nous faisons avec les animaux pour les plantes. » Pour cette serre, Emmanuel Mouton imagine un lieu où les mammifères, oiseaux et reptiles seraient en liberté au milieu des visiteurs. « J’aime être au milieu des animaux, alors j’ai voulu que le maximum d’enclos soit comme cela, pour que les visiteurs le vivent aussi. »
« J »imagine un lieu où les animaux seraient en liberté au milieu des visiteurs »
Biographie express
À 47 ans, Emmanuel Mouton ne sait pas expliquer l’origine de sa passion. À sept ans, il dessine déjà les plans de son parc, dont il rêve. À neuf, il rencontre Jacques Bouillault, naturaliste et fondateur du zoo de la Flèche. Plus tard, il rencontre Gérald Durell, fondateur d’un parc naturaliste à Jersey, et devient un ami de son épouse. Il enchaîne les stages dans ces établissements, et d’autres. En 2001, Emmanuel Mouton est chef soigneur au jardin des plantes à Paris.
Des réussites
En 2013, la réserve zoologique de Calviac réussit l’exploit d’accueillir la première naissance de gloutons en France… depuis la préhistoire. La reproduction des faussas est aussi une réussite. Aujourd’hui, « un quart de la population européenne est de souche calviacoise », affirme Emmanuel Mouton. En 2019, le parc a reçu aussi le trophée des réserves de biosphère de l’Unesco. Autre prouesse, le parc accueille la doyenne mondiale des lémurs aux yeux turquoise : Sidoine a 31 ans.