Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Ruralité et design, un monde en mouvements

C’est une aventure singulière qui unit les acteurs locaux du Nontronnais et l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Depuis la rentrée 2021, un programme de niveau post-master, délocalisé en Dordogne, explore le Design des mondes ruraux.

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© Victor Cornec

La deuxième promotion du post-master Design des mondes ruraux de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs* réunit six étudiants de 23 à 30 ans sélectionnés sur des profils très variés, designers et architectes. Ils ont vécu de septembre à juin dans une grande maison sur la place centrale de Nontron, lieu d’ancrage de ce qui tient à la fois de la résidence (hébergement, atelier collectif, bourse de subsistance et de production), du laboratoire (expérimentation et innovation sociale), de l’incubateur (pour éprouver et consolider des projets) et du bureau d’études (projets à échelle 1). Objectif : répondre à des problématiques concrètes en misant sur la capacité du design à redynamiser les territoires ruraux.

Les projets d’étude en immersion confrontent ces étudiants à des enjeux réels, des sujets prioritaires dont la portée peut concerner la ruralité dans son ensemble. Des échanges sont engagés au niveau national pour voir comment capitaliser sur cette expérience, favoriser sa duplication, diffuser ses enseignements, organiser des formations destinées à d’autres acteurs locaux.

LIMITER « L’AUTOSOLISME »

Les commandes, élaborées en concertation avec les acteurs locaux, portaient pour cette édition 2022- 2023 sur l’identité des territoires ruraux (Communauté de Communes du Périgord Nontronnais), l’eau et ses usages (CRTE Périgord Vert), les mobilités en milieu rural (SNCF).

© Victor Cornec

Yannick Aly-Béryl et Jessica Brignola se sont emparés du thème des mobilités. La commande de la SNCF interrogeait l’apport du design pour favoriser les pratiques de mobilités rurales partagées et collectives, réduire la voiture autosoliste, et imaginer les modes de transports les plus utiles aux besoins spécifiques des habitants. En France rurale, 70 % des déplacements sont effectués en voiture et 22 % à pied : seulement 9 % de la population rurale utilise les transports collectifs pour ses trajets du quotidien… La marge de progression est considérable.

Les deux néo-Périgourdins ont dressé un large état des lieux, exploration allant d’une soirée Roulons solidaire (avec des pistes permettant aussi de lutter contre l’isolement en allant ensemble à un événement) à la prise en compte de la mobilités des biens, notamment alimentaires.

 » Les projets d’étude en immersion confrontent ces étudiants à des enjeux réels, des sujets prioritaires dont la portée peut concerner la ruralité dans son ensemble. »

Les étudiants ont fait le tour de solutions publiques déjà tentées et d’initiatives citoyennes. L’ensemble révèle un manque de service de mobilité, et surtout une méconnaissance des possibilités « quand on vient d’arriver sur le territoire ou quand on est isolé socialement ». Natifs, seniors, jeunes, néoruraux, salariés, touristes : toutes les approches ont été étudiées. Au-delà des liens sociaux, les déplacements concernent fortement les entreprises et leurs salariés.

OPTIMISER LES BUS SCOLAIRES

Une réalité a attiré l’attention du duo, qui a choisi de creuser cette possibilité. Depuis août 2022, les lignes scolaires sont ouvertes aux autres voyageurs réguliers, et même aux marchandises. L’information reste peu connue. Le travail de veille sur les mobilités émergentes les a conduits à expérimenter sur le terrain l’idée d’un Optit’bus à l’échelle du bassin de vie.

Une cartographie des lignes de bus scolaires, finement maillées, révèle un vrai potentiel. L’hypothèse de travail consiste à ouvrir ces lignes aux salariés et aux biens alimentaires. Le contexte est favorable : le pays Périgord vert et la Région travaillent sur l’attractivité salariale et les entreprises cherchent des solutions pour recruter, le frein venant de la mobilité. Ajoutons que la cantine de la cité scolaire 100 % bio et local repose sur l’apport de fournisseurs dans les 30 km, avec une nécessaire organisation de collecte et livraison. Une mutualisation prend alors forme. Les deux étudiants ont enquêté dans des entreprises volontaires (Hermès, Fareva-Laboratoire du bain, Etiq’Etains) avant un test sur trois jours en accord avec la Région, l’entreprise Duverneuil voyage et le syndicat nontronnais de transports scolaires, et la coordinatrice des producteurs locaux de la Sauce paysanne.

© photomontage :Jessica Brignola et Yannick Aly Béril

« Et si ça aboutissait ? », imaginent-ils déjà. Alors les bus scolaires pourraient transporter aussi les salariés et les biens alimentaires, la cité scolaire deviendrait un lieu multimodal avec un bouquet de services pour « le dernier kilomètre ». « Une expérimentation permettrait de fédérer les entreprises et d’ajouter des arrêts de bus si besoin. » Un kit de déploiement plus tard, Nontron deviendrait territoire pilote d’un projet de mobilité résilient à partir des bus scolaires.

UNE RESTITUTION PARTAGÉE

Par les références et les sources apportées, chaque équipe d’étudiants enrichit l’approche habituelle et favorise les échanges autour de la restitution de fin de parcours. Après avoir stationné à Nontron, celle-ci est exposée jusqu’à fin décembre à la Fondation Martell, à Cognac. La troisième promotion, accueillie dès septembre, devrait prolonger la réflexion engagée sur la notion d’identité des territoires, les usages buissonniers du paysage, avec de nouveaux lieux à réenchanter, déconstruire les déterminismes de genre en milieu scolaire ou encore aborder les questions agricoles et alimentaires par l’ensemble de la chaîne de valeurs, de la production à la consommation, dans la continuité du travail sur les mobilités. Cette promotion déménagera certainement en fin d’année dans un espace en cours de réhabilitation, pour fixer durablement ce programme dans le paysage local et affirmer une position de région engagée dans cette mutation.

* Programme porté avec la Communauté de communes du Périgord Nontronnais, avec le renfort du Pôle Expérimental des Métiers d’Arts, le soutien du ministère de la Culture, de la Région, du Département, de la ville de Nontron, le mécénat de la Caisse des Dépôts et Tech4mobility SNCF.