« La pêche au thon demande de la force », assure Didier Martinez, l’un des derniers canneurs de la Côte basque avec l’Airosa le bateau familial construit en 1954. Après avoir repéré une matte de thons en surface, l’équipage jette de l’appât vivant composé d’anchois, de sardines ou de chinchards pour fixer le banc tout près du navire. Avec des cannes de 3 à 6 m de long également appâtées, les thons rouges sont alors ferrés vigoureusement et remontés à bord. Durant cette pêche, des jets d’eau sont projetés depuis le navire pour masquer la présence du bateau. La pêche du thon rouge à la canne se pratique les mois d’été au large de la Côte basque. « Nous cherchons l’eau foncée, l’eau du large entre 18 et 23 °C » indique Didier Martinez.
AU PATRIMOINE DES SAVOIR-FAIRE MENACÉS
Il ne reste plus aujourd’hui qu’un bateau à Hendaye, un à Capbreton et deux à Saint-Jean-de-Luz à pratiquer cette pêche qui a fait les beaux jours du port de Saint-Jean-de-Luz / Ciboure. C’est pour préserver la mémoire, et peut-être aussi pérenniser ce savoir-faire, que l’association Bizi Ona avait proposé l’inscription de la pêche à la canne du thon rouge à l’Arche du goût de Slow Food International. Créé en Italie en 1986 pour s’opposer à la malbouffe et à la création d’un fast food dans le centre historique de Rome, ce mouvement entend sensibiliser les citoyens à l’écogastronomie. Présent dans une centaine de pays, Slow Food a institué l’Arche du goût pour consacrer une technique, race ou variété traditionnelle d’un territoire menacée de disparition.
DÉGUSTATION AU CHAI EGIATEGIA
Après le canard Kriaxera, la brebis Sasi Ardi et le merlu de ligne de Saint-Jean-de-Luz, l’association Bizi Ona présidée par Bixente Marichular continue son œuvre de reconnaissance du patrimoine culinaire du Pays basque. Pour célébrer l’inscription de la pêche à la canne du thon rouge à l’Arche du goût, Bizi Ona avait convié ses membres à une dégustation de thon rouge préparé par les chefs Gaby Biscay et Cédric Béchade accompagnés des élèves du lycée hôtelier de Saint-Jean-Pied-de-Port encadrés par Marie Amiano, leur professeur de cuisine. La soirée s’est déroulée le 29 juin à Socoa dans le chai d’Egiategia connu pour immerger ses fûts de vin en baie de Saint-Jean-de-Luz.
Il ne reste qu’un bateau à Hendaye, un à Capbreton et deux à Saint-Jean-de-Luz à pratiquer cette pêche
UNE TECHNIQUE IMPORTÉE DEPUIS SAN DIEGO
Avant la dégustation, David Milly, directeur de la coopérative des pêcheurs d’Aquitaine et Nicolas Susperregui, chargé de mission au comité des pêches 64-40, ont exposé l’histoire et les subtilités de cette technique de pêche. C’est depuis San Diego en Californie qu’elle a été importée sur la Côte basque dans les années 30 et essayée par une poignée de pêcheurs. La sardine était alors la principale espèce débarquée mais avec 66 tonnes de thon rouge débarqué en août et 450 tonnes en septembre, 1948 a été une année charnière. Saint-Jean-de-Luz est ensuite devenu le premier port thonier de France et a connu une période nommée « les 20 Glorieuses » par Nicolas Susperregui.
LE TEMPS DES QUOTAS
Cette technique de pêche à l’appât vivant a été déployée jusqu’au large du Sénégal par les pêcheurs luziens et cibouriens. En 1961 un navire congélateur d’une capacité de 1 200 tonnes a même été mis en service tandis qu’à Saint-Jean-de-Luz des conserveries ont été édifiées pour le thon rouge mais aussi le thon blanc et la sardine. Hélas la ressource du thon rouge s’est inéluctablement réduite et en 1969 la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) a été créée. Le développement massif de flottes de pêche dans le monde a conduit à l’instauration des premiers quotas. À Saint-Jean-de-Luz l’activité de la pêche s’est amoindrie et dans le monde la flottille tho- nière s’est stabilisée. En 2007, les quotas ont été au plus bas avec 70 tonnes pour la Côte basque.
UNE PÊCHE SÉLECTIVE
« Aujourd’hui la ressource du thon rouge est aussi importante que dans les années 70 », assure Nicolas Susperregui. Depuis la fin 2022, il a été décidé que les quotas ne seront plus révisés chaque année mais tous les trois ans. Pour la France c’est 6 700 tonnes de thon rouge dont 90 % pour la Méditerranée et 10 % pour l’Atlantique. Les 110 tonnes allouées à la Côte basque sont à 85 % pêchées à la palangre (une ligne mère sur laquelle sont fixés des avançons) et 15 % à la canne. Cette technique permet pourtant une pêche sélective et donc respectueuse de l’environnement. Raison de plus pour la pérenniser.