Couverture du journal du 17/01/2025 Le nouveau magazine

Trump : à quoi s’attendre ?

La victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine le 5 novembre suscite une déferlante de questions. Les principaux points de son programme, bien qu’a priori connus, ne disent pas grand-chose sur la rapidité et la profondeur des changements qui découleront de leur application aux États-Unis ou dans le reste du monde.

Véronique RICHES-FLORES

Véronique RICHES-FLORES © D.R.

La résonance du choc de la présidentielle américaine ne se résume pas à un programme, fonction du calendrier des réformes mais, tout autant, de la forme de gouvernance plus ou moins brutale qui lui sera associée, de la propagation ou, au contraire, de la résistance à la doctrine libertarienne prônée par Donald Trump et ceux qui l’entourent, aux États-Unis et par-delà les frontières américaines. Quelle signification donner, dès lors, aux promesses fiscales, budgétaires, énergétiques, protectionnistes ou encore à la feuille de route du binôme Musk-Ramaswamy au futur « ministère de l’Efficacité gouvernementale » dont les pourtours sont tellement éloignés de l’Amérique que nous connaissons ? Jusqu’où iront l’Europe et la Chine dans leur opposition et la défense de leurs intérêts respectifs et avec quels moyens ? La Fed parviendra-t-elle à conserver son indépendance ? Etc. Encore très largement inconnues, les réponses à ces questions, essentielles, n’en façonnent pas moins le contexte des marchés de ces deux dernières semaines, leurs hésitations et leurs contradictions.

Tempête dans un verre d’eau ou raz-de-marée ?

Une présidentielle américaine n’est jamais anodine pour les marchés et les victoires de Donald Trump le sont encore moins. En 2016, les lendemains de son élection avaient été ceux d’un électrochoc mondial, dans un contexte de surprise et d’incompréhension, à certains égards plus importants qu’aujourd’hui. L’environnement de marché s’est malgré tout rapidement stabilisé à l’époque.

L’expérience est à l’esprit de chacun aujourd’hui avec pour effet de relativiser bien des conséquences promises de la réélection du candidat républicain. Ainsi, malgré les tumultes apparents, l’évolution des grands agrégats financiers n’est pas particulièrement plus importante aujourd’hui qu’elle ne l’avait été à l’époque, voire nettement plus amortie s’agissant, des marchés des changes, des taux d’intérêt et des anticipations d’inflation. Certes, l’effet de surprise est moindre et les marchés ont anticipé un certain nombre de ces changements avant le 5 novembre. Pour autant, même avec un peu plus de recul, les réactions sont nettement plus limitées. Le constat n’est cependant pas le même lorsqu’il s’agit des Bourses, du Bitcoin et des cryptomonnaies en général, ce qui est loin d’être anodin d’un point de vue fondamental si l’on y voit les signes précurseurs d’une puissance absolue de l’économie américaine et d’un nouveau dogme monétaire. À l’évidence, les moindres réactions de marchés par rapport à 2016 sont à aborder avec précaution.

Donald Trump fera tout pour redonner la part belle à la production d’énergies fossiles

Énergie et inflation

Le programme du candidat républicain est, depuis ses débuts, perçu comme inflationniste, combinant avantages fiscaux de grande ampleur et surtaxes massives à l’importation. La perspective de sa réélection à partir du début du mois d’octobre a, de fait, sans délai, provoqué une remontée des anticipations d’inflation à moyen et long terme, après, il est vrai, une exagération à la baisse en début d’été. Dans leur sillage, les taux d’intérêt ont subi une forte correction, en même temps que les taux implicites réels se renchérissaient d’un demi-point en moyenne relativement au point bas qui était le leur aux environs du dernier FOMC du 18 septembre. La confirmation d’une victoire de Donald Trump n’a pas accentué le mouvement, les marchés jugeant sans doute suffisant le changement des anticipations pour couvrir au surcoût inflationniste de la politique à venir.

Impulsion à la production énergétique

Donald Trump, on le sait, fera tout pour reprendre les activités de fracking et redonner la part belle à la production d’énergies fossiles, tout en maintenant vraisemblablement un certain nombre d’infrastructures d’énergies renouvelables que l’administration Biden a largement favorisées. L’impulsion à la production énergétique que Donald Trump envisage soulève de fait assez peu de doutes. Sera-t-elle suffisante pour diviser par deux les prix de l’énergie aux États-Unis, c’est plus incertain. Les incertitudes sur les ressources énergétiques en provenance du fracking font largement débat, en effet. Si certaines sources mentionnent un point mort des prix aux environs de 30 $ le baril de brut pour les puits existants, celui des nouveaux puits est souvent estimé à plus du double, autour de 70 $. La ressource, dans ce domaine aussi, a ses limites et coûte de plus en plus cher.

Le risque de tensions encore à venir sur les taux d’intérêt américains est assurément important

Quel effet sur l’inflation ?

Quand bien même les prix moyens du pétrole baisseraient de moitié, quel en serait l’effet sur l’inflation ? Au bout d’un an, l’indice énergétique du CPI refluerait de 15 %, soit un impact dépressif sur l’inflation totale d’environ un point. Effet d’aubaine pour les consommateurs, cela leur permettrait éventuellement d’absorber dans de meilleures conditions la hausse des prix des biens importés surtaxés, dont l’effet sur l’inflation est estimé autour d’un point et demi. Dit autrement, la politique tarifaire pourrait n’avoir que peu d’effets sur la demande finale de produits importés, dans un tel cas de figure, tandis que le surcroît de demande s’il venait à profiter également aux activités de services plus domestiques, pourrait, in fine, se révéler plus inflationniste pour ces dernières.

Alors qu’en déduire ?

1. La première conclusion, évidente, est que les incertitudes sur la possibilité de baisser effectivement les prix de l’énergie de moitié sont de taille.

2. La seconde est que le sujet ne peut pas être abordé, toutes choses égales par ailleurs. En l’occurrence, les gains de pouvoir d’achat d’une énergie moins onéreuse pourraient, aisément, sous certaines conditions, se transformer en un facteur de surchauffe de la demande, voire des coûts salariaux face à un marché de l’emploi sous tension qui risque de l’être davantage avec des politiques migratoires plus restrictives.

3. S’il fait moins de doute que l’avantage concurrentiel des entreprises américaines pourrait s’en trouver accentué, c’est au bémol près de l’évolution de leurs coûts salariaux…

4. Si la promesse a sans doute été, électoralement, vendeuse auprès des électeurs-consommateurs, il fait peu de doute qu’elle est avant tout stratégique et pourrait, en retour, avoir plus de retombées géopolitiques qu’économiques sur le long terme. Parier que le programme énergétique de Trump sera suffisant pour empêcher un surcroît d’inflation semble, au total, bien aléatoire et pour tout dire assez irrecevable, à ce stade au moins.

Crispations sur les taux d’intérêt

Face à de telles conclusions, le risque de tensions encore à venir sur les taux d’intérêt américains est assurément important, malgré le relatif apaisement observé immédiatement après les élections. Les données les plus récentes ont confirmé les tendances observées depuis le milieu de l’été qui tirent les bénéfices du contexte de désinflation et des baisses de taux directeurs. Les gains de pouvoir d’achat des ménages continueront selon toute vraisemblance à soutenir la consommation, dans un contexte de regain de confiance. Comme déjà signalé par les données du mois d’octobre, l’inflation a interrompu son déclin et, bien qu’encore à des niveaux acceptables pour la Fed, les risques d’un regain de tensions sont, à l’évidence, au coin de la rue.

L’hypothèse d’un tassement de la croissance

Jerome Powell n’aura guère d’autre choix dès lors que de prendre acte de cet environnement, sans avoir à spéculer sur les effets à venir de la politique du nouveau gouvernement, ainsi qu’il avertit. C’est ce qu’il a commencé à faire dernièrement, ce qui, vraisemblablement, retiendra la Fed d’abaisser de nouveau ses taux directeurs d’ici la fin de l’année. Les risques que les taux d’intérêt futurs s’emballent à brève échéance sont, au total, très conséquents. Le regain de croissance de l’économie américaine et les valorisations des marchés parviendraient-ils, le cas échéant, à surmonter ce contrecoup ? La réponse à cette question est incertaine mais l’hypothèse d’un tassement de la croissance à la charnière des années 2024-2025 est loin d’être négligeable, suscitant par là même, un nouveau chapelet de questions : Donald Trump enfoncera-t-il le clou comme le promet son programme budgétaire, à coups de coupes dans les dépenses, au premier rang desquelles, celles à destination des plus défavorisés, que le couple Elon Musk et Vivek Ramaswamy a, notamment, la charge d’orchestrer dans les plus brefs délais ? Accélérera-t-il, le cas échéant, son programme de baisses d’impôts à l’égard, notamment des entreprises, susceptibles d’être rattrapées par ces déceptions que les marchés, obnubilés par les baisses d’impôts à venir, n’envisagent pas ?

Les années de son premier mandat n’ont pas été celles d’une rigueur budgétaire particulière. Jusqu’où ira le président réélu pour parvenir à ses fins et financer les coupes, extravagantes, de recettes qu’il envisage ? Contrairement à son premier mandat, Donald Trump n’est plus seul au pouvoir et s’est entouré de personnalités, en apparence, plus déterminées que lui-même qui n’annoncent pas une stratégie de demi-mesure. La confusion, on l’aura compris, est totale à ce stade, retenant de faire des pronostics et, plus encore, de prendre pour argent comptant les retours des marchés.

Il fait peu de doutes que la Chine est une cible de choix pour le président américain

Des désordres à venir sur les marchés des changes

Les incertitudes qui entourent les perspectives américaines sont exceptionnelles et, avec elles, les questions sur les effets potentiels des développements à venir dans le reste du monde. Il fait peu de doutes que la Chine est une cible de choix pour le président américain et ses coéquipiers et que cette dernière n’aura sans doute d’autre choix que les représailles sur son taux de change, comme l’ont déjà fait savoir ses représentants. Après tout, les autorités chinoises savent manipuler leur devise et n’hésiteront guère à user de cette corde pour amortir le choc de droits de douane exorbitants. Les conséquences ne sont cependant pas sans impact potentiellement très déstabilisant pour l’Empire du Milieu et ses partenaires commerciaux. Le renchérissement des importations de matières premières qui pourrait découler de telles pratiques face à des entreprises contraintes de pressuriser leurs prix de vente n’augure assurément rien de bon pour l’économie chinoise dont on peut légitimement attendre des mesures de rétorsions beaucoup plus agressives. Une forte dépréciation du yuan aurait, par ailleurs, des effets de diffusion particulièrement nocifs pour les concurrents de la Chine, aux premiers rangs desquels les Japonais et Européens. Les marges des entreprises nippones sont hautement sensibles à l’évolution du taux de change du pays vis-à-vis du yuan, en effet, et laisser filer le yen dans des proportions semblables à ce que ferait le yuan pour amortir les pertes de compétitivité ne semble guère dans la logique de la politique monétaire de la BoJ de ces derniers mois.

Urgent d’attendre

Les conséquences de la politique prônée par Donald Trump sont d’une rare complexité, risquant de surprendre, tant par leur ampleur que par leurs ramifications, aujourd’hui, insoupçonnables. Si chacun est libre de prendre des paris dans n’importe quel environnement, personne n’est obligé de suivre le mouvement tant qu’un minimum de visibilité ne sera permis. La réélection de Donald Trump a créé un tourbillon dans lequel retrouver ses marques est impossible. Il n’a, de fait, rarement été aussi urgent d’attendre avant d’élaborer des stratégies d’investissement.

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