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Dordogne – Caviar Perle Noire, la force des circuits courts

Dans une vallée du Périgord marquée par la Préhistoire, Caviar Perle Noire fait revivre une ancienne pisciculture de truites en y ajoutant des bassins d’esturgeons… Un poisson, lui aussi, du fond des temps.

Caviar

© S.B.T.

On n’arrive pas comme ça à une production de caviar. Le temps (dix générations d’esturgeons) est l’allié incontournable de tout projet dans ce domaine. Alors, tout commence avec une pisciculture de truites, aux Eyzies-de-Tayac, dans une vallée de la Beune foulée par nos plus lointains ancêtres et dont la biodiversité lui vaut la reconnaissance Natura 2000. Après 50 ans d’activité, ce site est en déshérence quand Frédéric Vidal s’y intéresse, en 2008.

NE PAS DÉLAISSER LA TRUITE ARC-EN-CIEL ET SA CHAIR DE QUALITÉ

La truite est alors concurrencée par le saumon et, s’il porte déjà son projet d’esturgeon et caviar, il est convaincu qu’il ne faut pas délaisser totalement la truite arc-en-ciel et sa chair de qualité, et développe une ligne autour de la truite fumée. Ce maintien d’activité donne lieu à des œufs de truite d’excellence, valorisés en marque propre, qui représentent 10 % de la production nationale. Le projet caviar se structure lentement mais sûrement dans une démarche globale d’entreprise prenant appui sur six sites en Périgord, trois pour la truite et trois pour l’esturgeon. La marque Caviar Perle Noire naît, et avec elle une collection de produits dérivés haut de gamme destinée aux épiceries fines. « Nous pourrions vendre davantage, mais il nous faudrait trouver d’autres sites. Nous restons à l’écoute d’opportunités pour augmenter notre capacité. Nous avons choisi un élevage basse densité de 25 kg/m2, et nos eaux froides comptent aussi dans le respect de cet animal fragile. »

DE LA MER AUX BASSINS

Caviar

© S.B.T.

La passion pour la mer de Frédéric Vidal, ingénieur agronome, l’a conduit à se spécialiser dans la gestion des ressources marines. Dix ans passés à l’Ifremer le conduisent en Amérique du Sud, puis sur tous les continents pour développer la filière gambas d’élevage.

« La crevette de Madagascar est une technologie française. » L’expert aquacole a une âme d’entrepreneur et il fonde sa société Aquadem en Maine-et-Loire, en 1997, où il crée un premier site d’élevage d’esturgeons et de production de caviar. Il conserve 35 % des parts pour monter son projet de développement en Périgord en 2007 avec des partenaires financiers, des business angels lyonnais. Un investissement de 5 millions d’euros.

ENVIRONNEMENT NATUREL PRÉSERVÉ

Les eaux claires qui coulent localement, avec trois sites sur source et ruisseau de première catégorie, facilitent le respect des normes de rejet et d’impact environnemental. Les plateaux calcaires assurent un réservoir d’eau ; la vallée de tourbières et marais évite les submersions en cas d’orages.

Les eaux vives ont permis à l’activité de ne pas souffrir des températures record de cet été et d’éviter le seuil de 26 °C qui ouvre la porte aux maladies. « La température moyenne est de 13 °C toute l’année et nous sommes à 22 °C l’été, sans goût de terre, de vase ou de circuit fermé grâce aux eaux propres et renouvelées. Nous anticipons en réduisant encore la densité les mois d’été. Et un forage à 40 m. vient en appoint pour rafraîchir si besoin. » Un bief sur le site principal pourra même servir à la récupération d’énergie hydraulique.

DE BELLES VENTES À L’INTERNATIONAL

1 000 à 2 000 esturgeons, classés par génération, évoluent dans les bassins. La croissance est lente, pour atteindre une maturité en dix ans, à 6 kg. Il s’agit d’Acipenser baerii, espèce issue des lacs de Sibérie et adaptée aux eaux douces, rejointe depuis peu par l’Acipenser gueldenstaedtii, originaire du Danube. « Élevés sans phytos ni antibios, juste des granulés et de l’oxygène. »

La production de caviar est stabilisée autour de 2 tonnes par an

CIRCUITS COURTS PRIVILÉGIÉS

S’il connaît bien la marque collective Caviar d’Aquitaine, pour y avoir œuvré aux origines de la démarche avec l’esturgeonnière, Frédéric Vidal l’a quittée il y a quatre ans car elle ne correspond plus à son circuit de vente, qui se passe des GMS. Il observe le dépôt d’une IGP sans être certain d’y participer. « L’Aquitaine est la seule région de production en France avec la Sologne, des sites très différents y sont installés, en circuit fermé ou pas, sans unité de protocoles. » Le made in France, et plus encore en Périgord, compte déjà dans l’image de la marque. L’entreprise artisanale, éleveur-producteur-affineur, privilégie d’ailleurs les circuits courts pour les approvisionnements et établit des partenariats avec des acteurs locaux cultivant les mêmes valeurs (beurre d’Audrix, vodka du Périgord noir). Et elle s’appuie sur les labels de gestion durable, sésame sur le marché international qui représente 20 % des ventes dans 10 pays dont Dubaï, la Suisse, la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le Maroc et Hong Kong. « Nos ventes passent par un grossiste et ne se font pas sous notre marque. Nous sommes seuls en France à les fournir en caviar et œufs de truite. »

La production de caviar est stabilisée autour de 2 tonnes par an, commercialisée en France à 70 % auprès de détaillants de centre villes (épiceries fines cavistes, poissonneries, traiteurs) et 650 professionnels livrés en direct dans la restauration, et 10 % de vente au détail. Les perspectives sont bonnes. La France est le troisième consommateur mondial de caviar (45 tonnes en 2021), derrière la Russie et les États-Unis.

 

PERLE NOIRE EN CHIFFRES

41 bassins dont 11 d’alevinage (soit 15 000 m2)

500 000 truites (100 tonnes)

50 000 esturgeons (mâles et femelles)

8 à 10 tonnes d’œufs de truites par an (presque 8 % de la production française)

1,5 à 2,5 tonnes de caviar par an