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Bertrand Auzeral : l’abeille vit

Lot-et-Garonne - Apiculteur professionnel et toujours aussi passionné par les abeilles et leurs mystères, Bertrand Auzeral vient de céder sa place de président du syndicat apicole « l’Abeille Gasconne » après 10 ans d’engagement. Ayant participé à la création du label national « Bee Friendly », il dresse le bilan d’une filière qui a profondément évolué au gré du réchauffement climatique et des attentes des consommateurs.

Bertrand Auzeral, apiculteur abeille

Bertrand Auzeral, apiculteur © Louis Piquemil - La Vie Economique

La Vie Economique : L’année 2023 a démarré par un coup de tonnerre venu de Bruxelles. La Cour de Justice de l’Union européenne interdit désormais les dérogations pour l’utilisation des néonicotinoïdes, pesticides toxiques pour les abeilles : qu’en pensez-vous ? Est-ce une victoire pour vous ?

Bertrand Auzeral : « On valide évidemment cette décision forte dans un secteur où l’agrochimie dicte sa loi ! Même si certains agriculteurs, les producteurs de betteraves, ne comprennent pas cette décision, je pense que ce sont des victimes, comme nous l’avons été nous les apiculteurs, après avoir été poussés dans une forme de facilité et par une trop grande assistance autour de l’utilisation de molécules potentiellement dangereuses. »

LVE : Quelles solutions ont-ils face à cette décision soudaine ?

B.A. : « Les alternatives existent et depuis 3 ans, ils devaient trouver des pistes… Parmi elles, la rotation de culture me semble la plus pertinente. Il faut désormais sortir de ce schéma productiviste et cette décision européenne commence à mettre un coin dans l’industrie de l’agriculture. On travaille avec du vivant alors comment faire évoluer nos modèles économiques en fonction de ça ? C’est l’enjeu d’aujourd’hui et demain pour l’agriculture. »

Les abeilles développent maintenant un comportement d’attaque en encerclant le frelon

LVE : Le lien et les échanges existent entre apiculteurs et agriculteurs ?

B. A. : « Je me suis installé en 2006 à la fin des grosses hécatombes liées aux pesticides utilisés dans le traitement des semences de tournesol (Gaucho et Régent sont aujourd’hui interdits en France).

Les néonicotinoïdes ont décimé une bonne partie des cheptels d’abeilles en France mais notre filière a su retrouver un bon niveau de production dès l’interdiction actée en 2004. On aurait dû à ce moment-là communiquer un peu plus avec le grand public et les agriculteurs. Cela n’a pas arrangé un climat de défiance qui existait déjà entre nous et les agriculteurs, c’est dommage. »

Les agriculteurs ont évolué et beaucoup sont conscients des dangers et de l’impact des pesticides

LVE : En 10 ans, il y a eu beaucoup de changements dans le monde agricole ?

B. A. : « En 2014, il était compliqué de parler du label « Bee Friendly » mais aujourd’hui il est très implanté et tout le monde en parle. Les agriculteurs ont évolué et beaucoup sont conscients des dangers et de l’impact des pesticides. Il y a une vraie volonté de changer de modèle pour répondre aussi aux attentes des consommateurs. »

LVE : Comment se porte la filière apicole en Nouvelle-Aquitaine ?

B.A. : « En 2000, nous étions la 2e région en production de miel derrière le Sud-Est. Aujourd’hui, et en raison du réchauffement climatique, les régions du nord produisent plus que nous ! En Nouvelle-Aquitaine, comme dans le Sud-Est, nous subissons depuis 5 ans les aléas climatiques marqués par des hivers doux et des gelées tardives sans parler des sécheresses estivales. L’importance des chocs thermiques crée des déficits hydriques, la plante ne monte pas en nectar et n’attire donc pas les pollinisateurs pour remplir leur rôle de dissémination des pollens. »

Les néonicotinoïdes ont décimé une bonne partie des cheptels d’abeilles en France mais notre filière a su retrouver un bon niveau de production

LVE : Quelles sont alors les solutions possibles face au changement climatique ?

B.A. : « La diversité des productions agricoles, imposée aujourd’hui par la PAC, pour plus de rotation des cultures afin d’enrichir la terre et éviter les monocultures ! Que les délaissés fonciers puissent être mis en floraison mellifère et pollenifère, replanter des haies et des arbres, recréer des corridors écologiques, remettre du lien entre les éléments du paysage, que les collectivités locales décident d’arrêter de faucher les bordures de routes … Chez nous (Bee Friendly) on utilise cette expression : du ver de terre à l’abeille ! Tout est lié et je milite pour plus de diversité mais aussi plus de ruches sédentarisées au milieu des autres cultures. En plus de favoriser la biodiversité, et donc enrichir la terre, cela nous permettrait de vendre un miel avec une histoire derrière. Il y a une oreille attentive dans le monde agricole, je reste optimiste. »

BERTRAND AUZERAL EN BREF

Avec ses 400 ruches de production et 250 essaims (1 500 colonies à gérer au total avec son associé), Bertrand Auzeral réalise 60 % de son chiffre d’affaires avec la production de miel, 30 % avec la pollinisation (location de ruches à des agriculteurs pour favoriser la pollinisation et, in fine, la biodiversité) et 10 % avec l’élevage. Malgré son allergie aux piqûres d’abeille, il est passionné par l’apiculture que pratiquait, en tant qu’amateur, ses parents et son grand-père.

Après avoir obtenu un BTS en machinisme agricole, il a découvert l’apiculture professionnelle lors d’un congrès à Mende en 2004. Décidé à se lancer, il découvre qu’un ancien abattoir à volailles doté de matériels en inox est en vente sur sa commune de Pont-du-Casse. Épaulé par d’autres apiculteurs, il démarre son activité dans ce nouveau local par de la vente de miel, de pollen et propolis puis la location de ruchers pour la pollinisation. Il a participé à la création du label « Bee Friendly » présenté en 2014 au salon de l’Agriculture aux côtés du ministre Stéphane Le Foll. « J’ai participé aux premiers travaux et cela nous a ouvert la porte du monde viticole avec un premier partenariat signé auprès des Vignerons de Buzet. »

LVE : Et en Lot-et-Garonne, comment se porte la filière apicole ?

B.A. : « Le congrès européen en 2012 a permis d’ouvrir de nouvelles voies de développement comme le rucher école, ouvert au lycée agricole de Sainte-Livrade, qui forme en moyenne une trentaine de personnes chaque année à l’apiculture et dont deux en moyenne deviennent des professionnels. En Lot-et-Garonne, il y a près de 40 apiculteurs professionnels et de plus en plus d’amateurs. Depuis quelques années, on voit des petites associations qui se montent pour créer des ruchers municipaux dans leur ville, partager des conseils entre passionnés ou se lancer dans une miellerie ambulante. »

LVE : Sur le front de la lutte contre frelon, quelles sont les avancées ?

B. A. : « Sans être chauvins, nous avons été là aussi précurseurs en Lot-et-Garonne en lançant un plan de lutte collective repris ensuite au niveau national. Il s’agit de piéger les reines au printemps pour diminuer la prédation l’été. Nous incitons ainsi les particuliers à poser des pièges, si des nids ont été détectés l’été précédent, avec des trous de 5 mm pour laisser passer les autres insectes. À l’automne, nous détruisons les nids autour des ruchers avec des perchistes spécialement formés. Et puis les abeilles développent maintenant un comportement d’attaque en encerclant le frelon pour faire monter la température et le tuer. Il y a aussi une autre stratégie pour les plus grosses colonies qui continuent leur activité comme si de rien n’était en acceptant les pertes. »

LVE : Vous qui vivez au milieu des abeilles, elles vous étonnent encore ?

B.A. : « Elles nous apprennent quelque chose de nouveau tous les jours et nous font nous remettre en question en permanence, surtout depuis que je pratique l’élevage ! Avec mon associé Guillaume, nous faisons de l’élevage de reines afin d’avoir des colonies avec une génétique particulière à partir d’une sélection selon la rusticité, productivité, capacité à faire des réserves, la douceur pour ne pas qu’elles soient trop agressives… Pour y parvenir, nous faisons entrer du sang neuf dans nos colonies, selon la composition de notre cheptel, mais nous pratiquons aussi de l’insémination artificielle pour stabiliser les gènes. Avec l’élevage, nous montons en compétences dans la technicité pour avoir des abeilles adaptées au territoire et un maximum de productivité. Mais l’abeille n’est pas un mammifère et possède une diversité génétique très importante (il faut ainsi 8 mâles pour féconder une reine).

C’est une activité compliquée, mais passionnante, et un nouveau challenge pour nous avec l’ambition de faire naître des colonies d’abeilles capables d’amasser du miel et de s’adapter aussi aux nouvelles conditions météos marquées par des étés très chauds. On cherche donc des abeilles capables de s’autogérer et de gérer leurs réserves sans l’aide humaine. On n’est pas des apprentis sorciers et y a des milliers de possibilités ! L’avantage, c’est que la filière apicole française travaille en open source et partage gratuitement, ce qui n’est pas le cas dans d’autres secteurs, les données entre apiculteurs professionnels et passionnés d’abeilles. »

BEE FRIENDLY EN BREF

Créée en 2014, l’association Bee Friendly réunit tous les acteurs autour des insectes pollinisateurs, représentés par l’Abeille en tant qu’ambassadrice : apiculteurs, experts des pollinisateurs, agronomes, experts de la biodiversité. La mise en place d’un label national permet d’accompagner, encourager et enfin valoriser les agriculteurs soucieux de protéger les pollinisateurs. Aujourd’hui, l’association, qui poursuit sa croissance, regroupe plus de 2 000 agriculteurs et représente plus de 10 000 hectares.