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Des retraites pour financer l’économie

L’objectif à atteindre le plus rapidement possible est celui de la consolidation du système de retraite par répartition. Parmi les nombreuses solutions pour y parvenir, l’augmentation nécessaire du nombre de cotisants. Mais déjà, il faut s’interroger sur les raisons profondes de la non-activité d’une partie de la population dite « active »...

Christian PRAT DIT HAURET et Vincent MAYMO, professeurs à l’Université de Bordeaux économie

Christian PRAT DIT HAURET et Vincent MAYMO, professeurs à l’Université de Bordeaux © Atelier Gallien - Echos Judiciaires Girondins

Sic transit gloria mundi ! Les hommes se succèdent et les idées ne se renouvellent pas ou trop peu. Si, dans les années 60, on comptait 4 cotisants pour 1 retraité, on comprend bien qu’en 2020, avec un nombre de retraités de 16,9 millions, pour une population de cotisants de 28,2 millions d’âmes, le modèle n’est plus soutenable. Les conditions qui ont vu naître en France notre modèle de répartition étaient le contexte de l’après-guerre caractérisé par une situation démographique, une idéologie politique, des conditions de marché et un environnement réglementaire qui lui étaient propres.

Dans les systèmes de répartition, les cotisations de l ’ année financent les retraites en cours. La répartition ne fonctionne qu’avec un équilibre soutenable entre le nombre de cotisants et celui des bénéficiaires. Face à une augmentation du nombre des retraités, il convient donc de trouver des solutions démographiques, économiques et culturelles. Les leviers disponibles dans le cadre d’un système de répartition pure sont alors l’augmentation du nombre de cotisants par une politique nataliste, par une politique d’immigration ou par un allongement de la durée de cotisation, par une activité accrue de la population active, par une pression croissante à la productivité ou encore l’augmentation de la cotisation par tête.

SOLUTIONS DÉMOGRAPHIQUES ?

L’économiste Emmanuelle Auriol de Toulouse School of Economics a dans cette veine souligné tout l’enjeu de recourir à une immigration économique choisie et l’enjeu de travailler à l’attractivité de la France en tant que terre d’entrepreneurs et terre d’emplois. D’aucuns à l’ins- tar de l’économiste Antoine Bozio et du conseil d’orientation des retraites font reposer l’avenir des retraites sur des hypothèses de croissance et de financement de l’État, mais concèdent que les scenarii proposés parient sur un appauvrissement relatif des retraités et conduisent à un déficit croissant du système de retraite.

QUESTION DE REDISTRIBUTION

Les arguments en fonction de la répartition se veulent sociaux, ceux qui n’auront pas ou peu épargné mais cotisé toute leur vie pourront ainsi bénéficier d’une sécurité collective et d’un espoir pour leur avenir. Ils se veulent aussi économiques puisque la redistribution des richesses des cotisants vers les retraités devait permettre davantage de consommation, en gardant en tête que ceux qui ont les plus faibles revenus n’ont pas toujours une propension à consommer plus élevée. Cet argument trouve une limite objective dans la répartition de la richesse en France où les seniors restent dotés, et largement, des plus gros patrimoines.

POURQUOI TANT DE NON-ACTIFS ?

La consolidation du système de retraite par répartition doit prendre en compte, dans une logique spatio-temporelle, tous les actifs du moment qui peuvent raisonnablement s’interroger, compte tenu de la pyramide des âges et des évolutions des comportements, sur l’équilibre du système à terme et la capacité des générations futures à y contribuer. Une première solution serait d’augmenter le nombre de cotisants et, surtout, de s’interroger sur les raisons pro- fondes de la non-activité d’une partie de la population dite « active ». Cette population ne produit pas et donc ne cotise pas pour les retraites, ce qui, dans un cercle vicieux, fait reporter le poids du système sur les salariés en activité qui subissent de plein fouet la pression des prélèvements obligatoires.

Dans la génération des personnes dont l’âge est compris entre 60 et 65 ans, 30 % d’entre elles seulement sont en activité

L’économiste bordelais Olivier Bargain souligne à ce titre tout l’enjeu d’une lutte contre le travail clandestin dont on chiffre à plu- sieurs milliards l’impact sur les cotisations sociales. Pour illustrer cela, une seule statistique : dans la génération des personnes dont l’âge est compris entre 60 et 65 ans, 30 % d’entre elles seulement sont en activité et 70 % ne le sont plus. La statistique est quasiment l’inverse dans les pays scandinaves et en Allemagne, c’est-à-dire dans les pays où l’économie est la plus compétitive.

ÉCHELLE DE PÉNIBILITÉ

Bien entendu, on exclura de cette analyse, les « salariés marteaux- piqueurs » et les ouvriers à la chaîne, dont la santé s’est trop rapidement dégradée et qui doivent partir avant tous les autres et sûrement avant 60 ans. Plusieurs scenarii sont envisageables : une échelle de pénibilité permettrait certes de pondérer les années de cotisations selon les pro- fessions, mais elle ne suffirait pas à rendre compte de l’état de santé du cotisant. De sorte que devrait également être généralisé un suivi de l’état de santé professionnelle : une personne allergique aux poussières et produits chimiques pourrait tout autant être usée par des activités de coiffure ou de ménage là où une personne migraineuse serait mise en souffrance dans des environnements bruyants comme une salle de classe.

LA CAPITALISATION : UN AUTRE MODÈLE DE JUSTICE ?

Dans les systèmes par capitalisation, les cotisations actuelles financent les retraites futures de sorte qu’un stock de capital est réalisé à des fins de tampon, de pilotage anticipé et de valorisation. La capitalisation présente un autre modèle de justice qui, s’il est régulé, pourrait constituer une alternative convaincante à plusieurs titres. Elle permettrait d’une part de redonner aux citoyens un pouvoir sur leur avenir, qu’il soit individuel ou collectif ; on pense ici évidemment à l’équilibre entre la cotisation par répartition et l’investissement dans des fonds de capitalisation. Elle permettrait de réintroduire de l’épargne dans l’économie et de l’orienter vers des enjeux de plus long terme, en cohérence avec la logique des retraites. Un tel effort pourrait notamment permettre la bascule dans la transition énergétique, un engagement plus profond dans les projets orientés par les « megatrends » en cohérence avec les engagements internationaux et également, la possibilité d’orienter des financements vers les territoires. Enfin, et non des moindres, elle permettrait sur le plan éthique et social de renouveler le lien intergénérationnel.

Pour faire simple et chiffré, un homme qui part à la retraite à l’âge de 62 ans a une espérance de vie de 18 ans et une femme de 23 ans, soit une moyenne de 20 années à la retraite. La constitution d’un capital se fait certes sur la base des cotisations versées par la personne active mais également sur la performance du fond. Pour être compréhensibles par les ayant-droits, et dans une recherche d’équilibre, la diversification pourrait suivre la « recette » du 4 quarts : 1/4 d’immobilier locatif en valorisant l’effet de levier de l’endettement, l’espérance de plus-value et le refuge anti-inflation ; 1/4 d’actions en recherchant rendement et croissance ; 1/4 de liquidités et d’assurance-vie par prudence et 1/4 d’or ou d’œuvres d’art pour couvrir le risque actions et faire vivre le patrimoine.

RENFORCEMENT DE L’ÉPARGN

En France, la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 dite « Loi Fillon » est venue renforcer les possibilités offertes aux acteurs privés, tant sur le plan de l’assurance que du renforcement de l’épargne et des capacités d’investissement à long terme. Celle-ci offre un cadre général et complète les solutions offertes aux agents de la fonction publique (le préfon, la RAFP) par des solutions dédiées aux acteurs du secteur privé dans la lignée des ex-contrats Madelin (1994) des PERP, des Perco, du plan d’épargne-retraite entreprise, des contrats en sursalaires et des contrats de retraite à prestations définies. Mais l’incitation à investir dans de telles solutions reste peu efficace pour les salariés dès lors qu’elles nécessitent de renoncer à une consommation présente ou à une liberté d’investissement. Chiffres à l’appui (https://stats.oecd.org/Index.aspx?QueryId=9599&lang=fr), on ne peut qu’inviter les acteurs poli- tiques à étudier plus avant cette voie au regard des enjeux pour les grands équilibres nationaux. Le débat répartition-capitalisation se posait déjà comme une dernière alternative dans les années 70, il y a un demi-siècle. Plusieurs options s’affrontaient en termes d’articulation entre ces deux modèles. Le développement de la capitalisation est resté marginal en France, où avec 8 %, le poids des fonds de pension dans la retraite est assez proche de celui de l’Allemagne mais bien éloigné des pays ayant retenu une approche intermédiaire comme le Royaume Uni, le Danemark, la Finlande ou les Pays-Bas pour ne citer que des pays européens.

LIMITES ET RISQUES DE LA CAPITALISATION

Si les modèles par capitalisation apparaissent plus efficaces sur un plan économique, et intergénérationnels, ils nous confrontent aussi à plusieurs défis. D’une part et fondamentalement, la capitalisation nous interpelle au plan social quant aux modalités de financement des personnes les plus démunies ayant insuffisamment cotisé ou n’ayant pas cotisé. On comprend alors que la capitalisation ne peut se suffire à elle seule et ne peut qu’être le complément nécessaire de la répartition. De plus, la capitalisation expose les investisseurs à des risques et interroge sur la stabilité de la solution mise en œuvre.

On pourrait autoriser transitoirement 2/3 des cotisations orientées vers la répartition et 1/3 vers la capitalisation et basculer vers un régime 100 % capitalisation

Enfin, le débat sur la capitalisation pose la question de la transition vers ces régimes : il s’agit alors de trouver un mode de financement des retraités en cours ou des futurs retraités qui n’auraient pas le temps de se constituer un pécule suffisant leur garantissant une retraite au moins égale à leurs droits acquis dans le régime actuel. On peut imaginer différents modèles de transition vers un modèle par capitalisation qui permette de s’accorder ensemble : une capitalisation individuelle vs collective, on pourrait doter la France d’un fonds souverain de retraite, on pourrait autoriser transitoirement 2/3 des cotisations orientées vers la répartition sans fiscalisation et 1/3 vers la capitalisation puis progressivement basculer vers un régime 100 % capitalisation. En complément, accorder la possibilité de bénéficier de sa retraite en une fois vs en mensualités. L’endettement choisi de la France permettrait d’amortir la transition.

Avec un budget retraite de 331 milliards par an, et un déficit prévu pouvant atteindre 2 % du PIB, on comprend bien que ce basculement n’est pas neutre. Le système actuel est déjà créateur d’une dette subie et l’on ne peut qu’inviter à une rationalisation. Il faut garder en tête que la dette de la France atteint déjà le chiffre stratosphérique de 3 000 milliards d’euros, alors qu’elle s’élevait à moins de 1 400 Mds en 2008 et moins de 700 Mds en 1995, un doublement régulier au cours des 30 dernières années. Mais l’augmentation choisie de la dette associée au renforcement de la retraite par capitalisation aurait des externalités positives qui s’intègreraient dans le cadre d’une stratégie nationale. Celle-ci serait en effet compensée par une « capitalisation » de l’économie d’un montant aussi important, le patrimoine national augmentant d’autant. Celle-ci aurait également vocation à être conjoncturelle là où la retraite par répartition systématise cet accroissement. La retraite, ce sujet épineux, deviendrait alors le levier privilégié d’orientation d’investissements massifs vers l’économie française et ses territoires, dès lors que ceux-ci font l’objet d’un équilibre entre contrôle centralisé et subsdiarité.

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