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Logement : pour une sortie de crise durable 

Nouvelle-Aquitaine - La crise de l'immobilier frappe l'ensemble de la chaîne de valeur, en France et en Nouvelle-Aquitaine. Comment sortir de cette situation durablement ? Pourquoi la question du logement constitue-t-elle un enjeu sociétal majeur ? Éléments de réponse.

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Christian PRAT DIT HAURET © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Promoteurs, aménageurs, marchands de biens, agences immobilières, banquiers et courtiers spécialisés dans l’immobilier, entreprises de construction, artisans du bâtiment, experts immobiliers et notaires, les professions de l’immobilier sont touchées de plein fouet par le raz-de-marée qui a frappé la France et la Nouvelle-Aquitaine depuis le début de l’année 2023. Après vingt ans de croissance quasi continue du marché, ils affrontent une crise conjoncturelle et structurelle majeure, sans précédent depuis la crise de l’immobilier de bureau survenue au milieu des années 1990, alors que le secteur constitue un des piliers de l’économie française avec une contribution d’environ 11 % au PIB. Cette crise qui devrait se poursuivre en 2024 se manifeste par une chute brutale (-20 % selon la FNAIM) du volume de transactions.

Au-delà des milliers d’emplois et d’entreprises menacées, ce sujet est d’autant plus crucial pour chacun d’entre nous qu’il touche à un droit fondamental dans notre société : le logement. Avec les professionnels, ce sont aussi des centaines de milliers de ménages dont les espoirs d’un accès à un logement décent s’effacent.

L’objectif de cet article est de dresser un panorama de la situation actuelle et d’esquisser quelques idées pour sortir de cette situation durablement. Pourquoi la question du logement constitue-t-elle un enjeu sociétal majeur ? Quels sont les facteurs à l’origine de cette crise ? Existe-t-il des solutions durables pour en sortir ?

 

Le logement : un enjeu de société

« Un logement représente bien plus qu’un simple toit. Posséder un logement est un droit fondamental. C’est la pierre angulaire du bien-être, de la santé, de la dignité, de la sécurité et de l’inclusion des individus », une perspective défendue par la Commission des Nations Unies sur l’habitat qui devrait être universellement reconnue, en particulier dans les pays les plus développés. Certes, pour la grande majorité des Français, les conditions de logement ont nettement progressé au fil des décennies au prix d’investissements majeurs des acteurs privés et publics. La quasi-totalité des ménages a désormais un accès aux installations sanitaires là où près d’un tiers des habitations des zones rurales était encore dépourvu d’installations sanitaires au début des années 80.

Mais l’offre de logements ne parvient pas à répondre de manière adéquate à une demande d’accès à un logement décent, notamment parmi les populations les plus fragiles socialement. Près de 12 millions de personnes seraient touchées par la crise du logement, dont près du tiers serait mal logé et 300 000 personnes seraient considérées comme sans domicile. Selon une étude de l’Union Sociale pour l’Habitat et de la Banque des Territoires, il faudrait construire près de 500 000 logements neufs par an au cours de la prochaine décennie, dont 200 000 logements sociaux, pour suivre les évolutions démographiques et sociologiques actuelles là où en 2023 seulement 126 000 logements neufs ont été mis sur le marché. Rien qu’en Gironde, plus d’une personne sur dix vit dans la pauvreté et l’on ne compte pas moins de 12 000 individus sans domicile personnel.

Soulignons enfin qu’un nombre croissant de personnes devrait bénéficier de loyers modérés, voire de logements sociaux, compte tenu de l’évolution des salaires. En vingt ans, le coût relatif du logement a plus que doublé pour les ménages français et plus encore à Bordeaux. La décorrélation entre le prix de l’immobilier et le niveau des salaires n’a fait qu’aggraver cette situation au cours des vingt dernières années renforçant ainsi les inégalités d’accès à un logement décent.

En vingt ans, le coût relatif du logement a plus que doublé pour les ménages français et plus encore à Bordeaux

 

Aux racines de la crise du logement : une conjonction de facteurs conjoncturels et structurels

La crise actuelle du logement vient conclure trente années de croissance quasi ininterrompue du marché de l’immobilier tant en valeur qu’en volume. Elle apparaît d’autant plus paradoxale qu’elle repose avant tout sur un déficit structurel d’offre de logements à des prix accessibles face une demande toujours plus soutenue. Outre la contraction historique connue par le marché de la transaction immobilière en 2023 (-20 %), les autorisations en berne (-25 % selon le ministère du logement) de mise en chantier ont elle aussi contribué à l’écrasement du secteur. En Nouvelle-Aquitaine, le constat est similaire avec une baisse des transactions de 21 % et un délai moyen de vente de 89 jours (+19 jours). Cette contraction du marché n’a pourtant pas été compensée par une baisse des prix qui ont continué à progresser de 3,1 % sur un an.

La hausse brutale des taux d’intérêt survenue dès le quatrième trimestre 2022 est l’un des premiers facteurs à l’origine de la crise du secteur. Les hausses répétées des taux directeurs par la BCE, sont venues percuter l’inflation, résultant de la reprise économique post-COVID, de l’augmentation des prix de l’énergie et des événements en Ukraine. Cette politique monétaire s’est répercutée sur l’accès au crédit dont les conditions réglementaires venaient déjà limiter l’accompagnement. Le montant des crédits immobiliers a ainsi chuté de 222 milliards d’euros en 2021 à 129,5 milliards en 2023 avec un encours de crédit restant malgré tout deux fois supérieur à celui du début des années 2000.

Le volet réglementaire et fiscal a lui aussi apporté son lot de contraintes notamment en ce qui concerne la gestion locative et la maîtrise énergétique des bâtiments avec la généralisation des diagnostics de performance énergétique (DPE) conduisant à la sortie progressive du marché des logements de classe G d’ici 2025 et de la classe F d’ici 2028 représentant 17 % du parc français.

Taxes foncières, droits de mutation, les impôts sur les revenus immobiliers et sur les plus-values, TVA sur les travaux de rénovation, d’isolation ou mise aux normes, la France se classe au quatrième rang des pays imposant le plus fortement la propriété immobilière dans le monde, représentant 2,2 % du PIB en 2021, le niveau le plus élevé de l’Union européenne. Ces évolutions venant réduire la performance des investissements immobiliers sont d’autant plus significatives qu’elles interviennent dans un contexte de forte croissance des autres marchés.

Pour finir, soulignons les politiques d’aménagement du territoire lacunaires en France tant elles sont centrées sur les grandes zones urbaines et ont réduit à la portion congrue les territoires. Les campagnes visant à renforcer les grandes zones urbaines se sont faites bien souvent au détriment des aires rurales et semi-rurales en perdant de vue les enjeux fondamentaux de qualité du logement et de bien-être.

 

Quelles solutions pour sortir durablement de la crise du logement ?

La complexité de la crise du logement invite l’ensemble des parties prenantes à se mobiliser. Les représentants du gouvernement, du secteur privé, des collectivités locales, des associations et des autres parties prenantes doivent coopérer pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies de sortie de crise. Ce défi majeur, lié au droit fondamental d’accès au logement pour tous exige une rénovation et une promotion de l’accès à l’habitat existant, en particulier dans les territoires qui détiennent une part significative de l’offre de logements : ces logements devant être rénovés et isolés et ces territoires revitalisés, restructurés. Les travaux de l’Institut Sofos, le Think Tank de l’Ordre des Experts-Comptables de Nouvelle-Aquitaine, avancent une série de 20 propositions.

On pensera à un premier ensemble de mesures fiscales tout d’abord. Des incitations fiscales, des investissements issus de partenariats publics privés et des ajustements dans les autorisations de construire doivent être envisagés pour soutenir des logements décents pour tous. Des solutions bien connues existent déjà, et permettraient notamment de relancer le marché de la primo accession avec un crédit d’impôt sur les charges d’intérêt. La durée d’exonération des plus-values doit également être revue pour remettre des biens immobiliers sur le marché et lutter contre les logements vacants.

Dans cet accompagnement de l’accès à la propriété, on pensera ensuite à des programmes de subvention, de démembrement ou de mise à disposition de foncier pouvant favoriser l’accession à la propriété et la revitalisation de territoires délaissés. Il est impératif de mettre en place des solutions fiscales adaptées et de les soutenir par la prolongation des mécanismes d’accès au financement tels que les prêts aidés (PAS) et les prêts à taux zéro (PTZ). Faciliter l’accès à la propriété doit également passer par la création d’un nouveau contrat de crédit-bail immobilier social ou des contrats de location avec option d’achat pour les locataires de logements sociaux. Les banques pourraient également envisager d’innover sur le plan contractuel en adoptant le modèle helvétique de financement où les 2/3 du capital ne sont remboursés qu’à la revente du bien. Un tel système rend soutenable le remboursement des emprunts pour les acquéreurs n’ayant pas d’apport.

Autre proposition, déjà explorée sur la métropole bordelaise, le bail réel solidaire à destination des primo-accédants facilite l’accès à la propriété en dissociant le foncier et le bâti. Celui-ci pourrait être renforcé en augmentant le seuil de ressources de 40 % pour les bénéficiaires. Enfin et non des moindres, il est urgent de se mobiliser pour relancer l’activité immobilière et le bâtiment. La simplification et la transparence du processus d’obtention des permis de construire en constituent une première étape. L’enjeu est d’une part de maîtriser le délai global d’accompagnement mais aussi d’harmoniser les pratiques d’un territoire à un autre. En termes de pilotage du secteur, des travaux doivent évaluer l’impact systémique des politiques publiques et proposer des scénarios d’accompagnement adaptés notamment en matière de consommation énergétique des bâtiments.