Citant une étude du bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT), Hubert Forgeot rappelle qu’il est très rare que les passagers d’un autocar en feu utilisent les marteaux-pics pour en briser les vitres et s’échapper. Le 23 octobre 2015, à Puisseguin (Gironde), lors de l’incendie d’un autocar causé par une collision avec un camion, 43 personnes avaient péri et aucun des marteaux-pics n’avait été décroché. « Un véhicule se remplit de fumée en 45 secondes et on ne distingue même plus le siège situé devant soi », rapporte Hubert Forgeot. L’ampleur du drame avait convaincu les acteurs de la sécurité routière d’imposer de nouvelles normes.
Quatre années de recherche
En 2017, un appel à projet avait été lancé avec le défi d’imaginer de nouvelles solutions d’évacuation des personnes et des fumées en cas d’accident. Experte des systèmes électroniques embarqués, la société Aguila Technologies avait alors été sollicitée. En quatre ans, Hubert Forgeot et son équipe d’ingénieurs ont mis au point le « Breakee« , un marteau électronique d’urgence destiné à briser les vitres des issues de secours des autocars. En plus de la prouesse technologique, l’ambition du projet était de produire cet équipement en Nouvelle-Aquitaine pour s’inscrire dans l’objectif national de réindustrialisation.
3 millions d’euros d’investissement
Créée il y a 15 ans sur le technopôle Izarbel de Bidart, Aguila Technologies se présente comme un pionnier français de l’Internet des objets. Hubert Forgeot regrette la connotation « gadget » de ces technologies et préfère le terme tech for life soit les technologies au service de la vie pour désigner son activité. Le développement du Breakee a nécessité 3 millions d’euros d’investissement avec notamment un soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine de près de 700 000 euros. L’accompagnement sur le temps long d’un écosystème régional s’est révélé capital pour le développement de ce projet industriel. « Avec la digitalisation, le temps long se résume à une seule année pour beaucoup mais le temps industriel se compte en décennies », affirme le chef d’entreprise.
Le lancement officiel du Breakee coïncide avec le démarrage d’une première production de 1 001 exemplaires destinés à équiper 143 véhicules de l’opérateur de transport Keolis
Une invention primée par la sécurité routière
En 2020, un premier prototype de ce marteau électronique d’urgence a reçu le trophée d’innovation de la Sécurité routière. Aujourd’hui opérationnel, le Breakee est un boîtier se fixant sur chacune des issues de secours (généralement au nombre de 5) d’un autocar. En cas d’évacuation d’urgence, les passagers soulèvent un écran de protection du boîtier, appuient sur un bouton déclenchant la fissuration totale de la vitre qui tombe ensuite par simple pression. Les fumées toxiques s’évacuent et les passagers peuvent sortir. Un boîtier de commande installé à proximité du conducteur lui permet de déclencher l’ensemble des Breakee ou d’annuler un déclenchement malveillant.
Une première série de 1 001 exemplaires
Organisé le 19 septembre dernier, le lancement officiel du Breakee coïncidait avec le démarrage d’une première production de 1001 exemplaires destinés à équiper 143 véhicules de l’opérateur de transport Keolis. Le Breakee est fabriqué à 90 % en Nouvelle-Aquitaine : Saft (Poitiers) fournit la pile, Synergie (Pessac) produit un sous-ensemble de carte électronique, Copelectronic (Mouguerre) fabrique un sous-ensemble mécatronique avec une partie de câblage, JBT Boursier (Cambo-les-Bains) intervient pour une partie mécanique. La phase finale d’assemblage/intégration/validation s’effectue chez Aguila Technologies où chaque sous-système est encore testé.
Le Breakee est fabriqué à 90 % en Nouvelle-Aquitaine
Repenser le modèle productif
« C’était inenvisageable de produire ailleurs qu’en Nouvelle-Aquitaine », argumente Hubert Forgeot. Mais pour lui, réindustrialiser le territoire ne consiste pas à concurrencer les pays lointains à faible coût de main d’œuvre d’autant que ces pays sont également capables d’automatiser leurs chaînes de production. « Nous devons repenser notre modèle productif avec beaucoup de recherche et développement sur nos méthodes. Je crois aux petites et moyennes unités industrielles pour réindustrialiser le territoire », analyse-t-il. Notamment inspiré par le lean management développé dans les usines Toyota, le dirigeant ne croit pas aux schémas uniques mais aux stratégies adaptatives, à l’état d’esprit, à l’efficacité des écosystèmes régionaux.
Un marché d’un million de véhicules en Europe
Aguila Technologies vise le marché des constructeurs d’autocars et d’autobus ainsi que le marché des opérateurs de transports avec des offres de vente d’équipements ou de location longue durée. En France, environ 100 000 véhicules sont en circulation pour 900 000 dans les pays européens. Un Breakee est commercialisé moins de 1 % du prix d’un véhicule neuf qui est de 400 000 euros en moyenne. « Un coût de quelques dizaines d’euros par mois », résume Hubert Forgeot. Au 1er septembre 2026, la réglementation R107 imposera l’équipement d’un dispositif de bris de vitres d’issues de secours aux autocars et aux autobus. Le Breakee répond parfaitement aux exigences de cette nouvelle norme.
100 000 Breakee en 2027
Sans concurrent identifié et avec un système breveté et homologué, Hubert Forgeot envisage de très belles perspectives de développement commercial. La fabrication de 10 000 Breakee est prévue en 2025 puis 100 000 en 2027. Avec une équipe de 3 personnes sur les 19 employées à Bidart, l’entreprise Aguila Technologies est capable de produire 1 000 exemplaires par mois dans ses locaux. Des embauches sont prévues ainsi que la création d’une filiale dédiée au Breakee. Réalisant deux millions d’euros de chiffres d’affaires avec son activité de bureau d’étude en électronique et le financement de ses projets pilote comme le Breakee, la société devrait connaître une forte croissance.
D’autres innovations technologiques en préparation
« Notre objectif est d’améliorer la sécurité à bord des bus et des autocars », explique le créateur ingénieur. Pour prévenir un accident comme celui de Milhas (six morts en 2017) où un autocar avait été percuté par un train sur un passage à niveau, son équipe travaille sur une technologie susceptible de faire communiquer le véhicule, le train et le passage à niveau avec une alerte si nécessaire. En 2021, dans le cadre du projet collaboratif Starc, la société Aguila Technologies a reçu une aide de 444 484 euros de la Région Nouvelle-Aquitaine et a déjà réalisé une première preuve de concept. D’autres projets de recherche & développement sont menés avec ce même objectif de tech for life qui pourrait bien faire d’Aguila Technologies l’un des leaders de ce secteur.
Hubert Forgeot en 7 dates
1981 : Naissance à Cambo-les-Bains
2020 : Bac scientifique à Bayonne
2005 : Diplôme ingénieur CNAM
2007 : Diplôme HEC Paris
2009 : Lancement d’Aguila Technologies à Bidart
2020 : Président de la French Tech Pays basque
2024 : Conseiller du commerce extérieur français
2024 : Lancement officiel du « Breakee »
La tech pour les pêcheurs d’Afrique de l’Ouest
En coopération avec les autorités et acteurs de la pêche artisanale du Sénégal, du Maroc et de la Côte d’Ivoire, Aguila Technologies développe le boîtier GAAL comme guardian angel of all life. Cet équipement rempli d’électronique et insubmersible devrait équiper des bateaux de pêche d’Afrique de l’Ouest pour les géolocaliser par satellite et contribuer à améliorer leur sécurité. Aguila Technologies emploie six personnes en Afrique pour la finalisation de cette technologie brevetée.