Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Territoires et entreprises : ces agences qui mènent la danse

Si la Nouvelle-Aquitaine affiche un dynamisme insolent avec 84 864 créations d’entreprise en 2021, la situation est disparate sur le territoire. Pour survivre, certains territoires doivent redoubler d’attractivité, supportés par un réseau d’acteurs dans lequel l’entrepreneur trouve sa place. L’écosystème se tisse alors sur un canevas fait de technopoles, d’accélérateurs, de parcs et de pépinières d’entreprises, d’accélérateurs, d’incubateurs ou de fablabs.

vincent maymo entreprise

Vincent MAYMO professeur des universités, IAE Bordeaux © Atelier Gallien

D’aucuns voient dans notre beau territoire les souvenirs enfantins des sorties qui berçaient notre jeunesse et nous font rêver encore aujourd’hui : les vignes, la forêt, les coteaux, le temps du temps, la mer et plus loin la montagne. Au fil des ans, le territoire a connu des mutations, des révolutions parfois, les uns sont venus, les autres sont partis, et l’on peine à reconnaitre en lui les traits que l’on avait aimés il y a quelques années. Car notre Sud-Ouest s’est révélé, s’est affirmé. Il connaît aujourd’hui plusieurs visages entre une façade bordelaise irisant la France de sa vivacité chatoyante, une façade maritime aimée des touristes petits et grands et des campagnes verdoyantes où s’activent les tracteurs aux côtés des chasseurs et des amoureux de la nature. Et derrière ces images d’Épinal décrites à la va-vite se trame une réalité que l’on ne saurait cacher.

LA RECETTE DU SUD-OUEST

Certes avec une croissance démographique soutenue par un des taux d’accueil des plus forts de France, un développement continu de l’activité économique renforcé par des conditions d’accueil remarquables pour les entreprises, un dynamisme des habitants tirés par des secteurs porteurs et des entrepreneurs investis, la recette du Sud-Ouest est prometteuse. Mais notre belle région connaît ses secrets, ses paradoxes, une complexité insoupçonnée et des dilemmes dont nous ne pouvons que nous faire l’écho.

Un territoire vit par les Hommes qui y créent du lien, se rencontrent, s’apprivoisent et s’engagent pour que la folie d’une idée projetée sur le zinc d’un bistro se fasse jour et enrichisse le monde. Aujourd’hui, certains recoins de ce « paradis » peinent à se retrouver dans le développement à marche forcée auquel il les a soumis. Si les déserts humains accueillent bien des aviateurs perdus, c’est pour le moins le rêve auquel un Saint-Exupéry nous invite à croire, ils souffrent aussi de la solitude. Un territoire c’est avant tout des Hommes et les liens qu’ils nouent dans un environnement fait de géographie, de culture et d’histoire.

3E RÉGION LA PLUS PEUPLÉE DE FRANCE

La Nouvelle-Aquitaine est la troisième région la plus peuplée de France avec 6,03 millions d’habitants en 2020 et 2 365 000 emplois dont près des deux tiers salariés. Elle est aussi une des plus dynamiques avec 563 000 établissements et 84 864 créations d’entreprise en 2021. « Notre territoire néoaquitain connait une grande richesse par l’hétérogénéité des modèles qui le composent. Il a aussi largement investi de nombreux secteurs où il s’est taillé la part belle au fil du temps », nous rappelle William Ballue, d’Invest In Bordeaux. L’excellent « Profil économique Bordeaux et Gironde » édité chaque année par l’agence qu’il dirige est la bible de ceux qui souhaitent en découvrir les principaux traits économiques. On y retrouve notamment pour sa mouture 2023 les faits stylisés résumés en quelques pages : une pépite !

VIN ET TOURISME

S’il n’est pas possible de dresser dans cette tribune un inventaire exhaustif des joyaux de notre belle région, on peut néanmoins rappeler qu’elle s’illustre notamment dans le secteur viticole, l’Aquitaine étant la première région mondiale de production de vins d’appellation ; dans le tourisme où la Gironde pour ne citer qu’elle est le premier département de séjour après Paris en 2021. On évoquera aussi la pole position de la Nouvelle-Aquitaine dans l’agroalimentaire, à la fois sur le plan qualitatif par le nombre de labels et sur le plan quantitatif en étant le premier secteur régional exportateur. Toujours au titre des métiers historiques, le massif forestier landais, consolidé au dix-neuvième siècle à l’initiative de Nicolas Brémontier, contribue à classer notre région en première position au plan national.

« RÉGÉNÉRATION ÉCONOMIQUE »

Or ces secteurs se distinguent nous le précise Wiliam Ballue « par une orientation développement durable à chaque fois conçue comme un pivot stratégique permettant de passer d’un modèle de développement économique à un modèle de régénération économique ». En phase avec les objectifs de développement durable de l’Onu, la région Nouvelle-Aquitaine ambitionne en effet d’être la première région écoresponsable de France en s’appuyant sur son écosystème d’entreprises et ses innovations. Cette ambition se prolonge alors dans les secteurs innovants, initiateurs d’un renouvellement de grande ampleur, dans lesquels elle a également investi.

PUISSANTS RÉSEAUX

Et notre expert du territoire poursuit : « Ces innovations sont portées notamment par les secteurs de l’aéronautique-spatial-défense, de l’énergie, de la chimie, de la santé et de l’e-santé, des laboratoires de recherche, le secteur de l’électronique et de la photonique, mais aussi dans le numérique, avec La French Tech Bordeaux et le pôle de compétitivité « Numérique Responsable » récemment labellisé ». Elles sont aussi soutenues par la finance avec notamment le militantisme de l’association Bordeaux Place Financière et Tertiaire présidée par Axel Champeil pour une finance à impact sur le territoire. Enfin et non des moindres, les liens tissés entre ses têtes de pont comme le club des ETI ou digital Aquitaine avec les laboratoires de recherche des universités favorisent les transferts de technologie. Cet engagement dans la transition constitue un terreau favorable pour le développement de la filière greentech qui s’appuie autant sur les savoir-faire en matière d’innovation, de numérique que sur l’importance accordée à l’environnement. Toujours dans cet engagement vers davantage de soutenabilité, le secteur de l’économie sociale et solidaire participe aussi au dynamisme néoaquitain, impulsé notamment par sa capitale bordelaise élue capitale mondiale de l’ESS en 2022. On retrouve encore cette dynamique dans les investissements réalisés dans la transition écologique comme dans l’effort promis par tous les acteurs d’un territoire pour être leader sur ces questions devenues plus que jamais fondamentales.

PÔLE D’EXCELLENCE NUMÉRIQUE

Engagée dans les transitions, la Région Nouvelle-Aquitaine ne délaisse pas le versant numérique. Celui-ci est un autre pôle d’excellence pour la région où Bordeaux en étant la troisième ville en termes de création d’entreprise dans le secteur. Cette réussite s’explique par un écosystème d’entrepreneurs et d’écoles d’ingénieurs et d’informatique permettant à la ville de se démarquer dans le commerce notamment mais aussi dans les jeux vidéos, dans la réalité virtuelle ou dans le multimédia. Des noms comme Cdiscount, Back Market, Manomano, Immersion, Ubisoft, Deezer ou Aquitem sont autant d’étendards ayant trouvé un terreau favorable pour s’implanter, grandir et recruter. Ces quelques lignes nous rappellent qu’une dynamique structurée est à l’œuvre, fondée notamment sur le rôle structurant de la Région. Rappelons que depuis la loi NOTRE, « l’institution présidée par Alain Rousset a vu son rôle de chef de file renforcé en matière de développement économique », nous précise William Ballue.

L’ENJEU DE « DESSERREMENT TERRITORIAL »

Mais l’on ne peut que questionner la portée des chiffres égrénés dans les précédents paragraphes pour mettre en exergue le découplage flagrant entre l’hyperdéveloppement du port de la Lune et l’effacement prégnant des campagnes venant souligner une fois de plus l’enjeu de « desserrement territorial ». Le développement d’un territoire s’appuie sur des pivots comme cela a pu être le cas de l’agriculture, de la mer ou des minerais par le passé. Mais les recettes qui faisaient le succès d’une région dans le monde industriel du XIXe siècle ont perdu de leur attrait, d’autant plus que de nouvelles problématiques se sont fait jour, on l’a vu. Un territoire meurt s’il n’est pas attractif et ne se saisit pas des virages que constituent entre autres aujourd’hui le numérique ou l’écologie.

Un territoire se vide lorsqu’il est délaissé par les administrations, lorsque les dispositifs médicaux et sociaux ne sont plus convaincants, lorsque les entreprises peinent à trouver les ressources et les débouchés indispensables à leur développement. Aborder le sujet des déserts médicaux reste trivial si l’on ne l’intègre pas dans une réflexion systémique englobant les dimensions sociales, entrepreneuriales, financières et administratives pour ne citer qu’elles. La vulnérabilité est une caractéristique intrinsèque de tels écosystèmes. Les infrastructures en constituent également une pièce maîtresse pour favoriser les déplacements tant locaux, avec les bus, tram, car, que régionaux car, TER/RER, TGV, et nationaux voire internationaux avec le TGV, ou l’avion. Et l’on comprendra souvent trop tard que le désinvestissement porte en lui l’abandon de notre patrimoine commun. Alors que les métropoles grossissent jusqu’à « l’embolie », les territoires apparaissent trop souvent délaissés.

Alors que les métropoles grossissent jusqu’à « l’embolie », les territoires apparaissent trop souvent délaissés.

REPENSER LES ÉCHANGES

La responsabilité de chacun au sein des territoires est alors de favoriser la concorde indispensable aux échanges. Il ne suffit pas pour autant d’avoir des idées pour réussir, mais bien de s’appuyer sur un écosystème fait d’entrepreneurs, de conseils, d’acteurs publics, d’instituts de formation et d’investisseurs, tous concentrés dans quelques kilomètres carrés au sein d’une métropole. Les chefs d’entreprise se trouvent bien souvent isolés lorsqu’il s’agit de déceler des opportunités et de trouver des relais dans leur environnement d’affaires. Il est urgent de favoriser les apprentissages par le développement d’une intelligence au service des entreprises pour attirer et accompagner les entrepreneurs et pour renouveler l’imaginaire construit autour du territoire. De tels apprentissages ne peuvent rester dans le champ des idées on l’a vu, et doivent s‘implémenter dans les routines d’affaires qui sont dans les territoires reculés tantôt inadaptées, tantôt dépassées faute de forces vives renouvelées. Ces affirmations nous invitent à repenser les échanges, les coordinations et les processus à l’œuvre. Ils nous invitent aussi à repenser l’organisation des espaces à l’échelle régionale. Enfin, cela pose la question du partage de la valeur lorsque les capitales se taillent la part belle pour créer des emplois et « vampirisent » leurs provinces, un héritage jamais vraiment questionné.

FONDAMENTALES TPE

Pour survivre, ces territoires doivent être attractifs et offrir des opportunités, en étant supportés par un réseau d’acteurs dans lequel l’entrepreneur trouve sa place. L’écosystème se tisse alors sur un canevas fait de technopoles, d’accélérateurs, de parcs et de pépinières d’entreprises, d’accélérateurs, d’incubateurs ou de fablabs, ou d’EPL. Dans ce registre, on comprend aujourd’hui toute l’importance des agences de développement pour impulser des dynamiques au plus près des entrepreneurs et des acteurs de terrain. Il s’agit alors de partager l’information, de mettre en relation, de reconnaitre le travail réalisé. Contre l’imaginaire souvent véhiculé par les médias nationaux, le tissu économique vit des petites entreprises qui constituent l’essentiel des cellules vivantes et dont les grands groupes restent souvent des contre-exemples remarquables, pour le meilleur et parfois pour le pire.

Le tissu économique vit des petites entreprises qui constituent l’essentiel des cellules vivantes

La présence économique de la TPE est fondamentale et les agences de développement les soutiennent face à des territoires qui peuvent se retrouver livrés à eux-mêmes. « L’accompagnement du développement des entreprises repose sur de l’apport en intelligence au sens anglo-saxon du terme, pour avoir l’information, pour mettre les bons outils à disposition des bonnes personnes, pour révéler au cœur de notre écosystème le diamant caché et lui donner toutes les chances de briller », nous précise Bertrand Cousin, directeur de Talence Innovation Sud Développement, une agence particulièrement dynamique en proximité immédiate de la capitale bordelaise, et qui fêtera en 2024 ses 25 bougies. « À l’heure de ChatGPT et des réseaux sociaux se pose la question du lien, et le principe de subsidiarité est essentiel dans l’accompagnement des TPE », poursuit-il.

Son président, Bertrand Blancheton, également doyen de la faculté d’Économie de Bordeaux, rappelle que « L’agence de développement TISD a été créée à l’initiative des collectivités. Elle s’adapte en fonction des spécificités d’un territoire pour développer les entreprises et l’économie locale. Les interactions entre le campus, sa recherche et ses étudiants d’une part et les entreprises d’autre part sont une spécificité de notre territoire qui s’inscrit dans le génome de TISD ». Lorsqu’on l’interroge sur les enjeux majeurs, il nous rappelle que « l’accès aux ressources est un défi majeur pour les membres de notre association. Nous animons des groupes de réflexion, nous accompagnons les entrepreneurs dans la recherche de foncier et de financement. » Et au fil de la discussion, on comprend bien que l’objectif est aussi de favoriser la continuité d’activité en accompagnant la transmission pour ne pas laisser l’économie et les savoir-faire s’éteindre, en accueillant de nouveaux entrepreneurs pour apporter du sang neuf et en leur donnant les bons conseils qui leur permettront de se renouveler. « Développer un territoire, c’est aussi construire une image, une marque », conclue-t-il.

LA FLAMME ENTREPRENEURIALE

Il faut imaginer les difficultés rencontrées par les territoires plus reculés pour faire vivre la flamme entrepreneuriale sans laquelle les administrations, les soins ou l’éducation ne trouvent plus de place. Nous sommes responsables du patrimoine que nous léguons à la postérité, un patrimoine fait de terres dont les sols doivent être préservés, de forêts dont l’exploitation s’étale sur plusieurs générations, d’une faune et d’une flore dont la diversité est essentielle à l’équilibre d’ensemble. Ce patrimoine comprend aussi ce qui nous unit, notre culture, une histoire, des liens et des entrepreneurs. « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes », nous mettait en garde John Meynard Keynes dans sa théorie générale.

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