150 ans : le chiffre, rond, est aussi symbolique que significatif. La naissance en 1874 de la maison Moutet, ici à Orthez, sera fêtée comme il se doit dans les mois qui viennent. Parce que chez Tissage Moutet, tisseur spécialisé dans la fabrication de linge basque et de tissus jacquard, on n’oublie pas : ni les générations passées, ni la tradition et encore moins le savoir-faire… Pour autant, si les souvenirs sont chéris, l’entreprise béarnaise reste tournée vers l’avenir. Benjamin Moutet, 5ème génération du nom et actuel dirigeant, jongle ainsi avec brio entre passé et futur. Depuis 13 ans, il impose sa patte sur la base solide bâtie par ses aïeux, aussi résistante aux aléas que les fameux torchons mais également les nappes, serviettes et autres tabliers fabriqués chez Tissage Moutet. Avec, héritée du clan Moutet, une obstination à rester vent debout quoi qu’il advienne.
Une IGP très attendue
Sans cet ADN, Benjamin Moutet, en sa qualité de président du syndicat des tisseurs du linge basque d’origine, n’aurait peut-être pas remporté la bataille pour l’obtention de l’IGP Linge Basque, entérinée le 27 septembre dernier après des années de procédure (lire encadré). « Il se joue beaucoup de choses derrière cette homologation », reconnaît Benjamin Moutet, qui avec cette victoire ancre un peu plus encore sa vision, dans les pas toujours de ce que ses prédécesseurs ont entrepris. Le moment est important, précise-t-il : pour éviter la désindustrialisation des Pyrénées-Atlantiques, zone définie par cette IPG, mais aussi pour le maintien des emplois, la défense d’un savoir-faire né sur le territoire, la préservation d’un patrimoine ou encore la reconnaissance du travail d’innovation qui, en ce qui concerne Tissage Moutet « a fait le succès de 5 générations ».
De l’apogée à la liquidation
Innover est sans nul doute un fil rouge chez les Moutet. Depuis le premier magasin de tissus racheté par Jean-Baptiste Moutet au centre d’Orthez, en 1874, au passage à l’industrialisation sous l’égide de son fils Georges en 1919, qui se spécialise dans le tissage de linge de table, jusqu’à l’apogée avec Jacques Moutet. On doit à ce dernier les premiers jacquards orthéziens et la construction de l’actuelle usine, ultra moderne, et l’emploi de 250 personnes qui place Tissage Moutet parmi les leaders dans la fabrication de linge de maison. Avant la liquidation, en 1999, puis la reprise par Catherine Darrigrand, la mère de Benjamin qui, fraichement divorcée du père de ce dernier, ourdira « un plan sans faille » pour redonner à la Maison Moutet ses lettres de noblesse. « Il y a toujours eu une femme derrière Tissage Moutet », tient à souligner le jeune dirigeant, admiratif, qui évoque également son grand-père Jacques, maire d’Orthez comme le fut son propre père Georges, davantage à la mairie qu’à l’usine et dont la femme assura les arrières à la tête de l’entreprise, en toute discrétion…
Il y a toujours eu une femme derrière Tissage Moutet
Le retour du fils prodige
Défenseure du made in France, Catherine Darrigrand porte Tissage Moutet à bout de bras, collaborant avec des designers internationaux, embauchant, créant la collection « Tapas » constituée de torchons et serviettes miniatures… « Elle a su imposer son style », résume son fils. Puis en 2008, la crise financière conduit au dépôt de bilan. Et c’est précisément ce moment critique que Benjamin Moutet choisit pour rentrer au pays. Consultant à Paris, tout juste remercié par son employeur, il est de passage en Béarn « pour ce qui compte vraiment, c’est-à-dire les fêtes d’Orthez ». Là, c’est le déclic : « Ma mère s’apprêtait à vendre à un jeune entrepreneur. Mais ça n’a pas eu lieu, j’ai accepté de l’aider et un plan de continuité a été mis en place. Petit à petit, on a réussi à renverser la logique. »
Le savoir-faire renforcé
Benjamin Moutet devient officiellement PDG en 2010. En 2020, les 500 000 euros de dettes sont comblés et Tissage Moutet sort du redressement judiciaire. Le jeune homme renforce le savoir-faire en recrutant, en investissant dans du matériel, et choisit de se tourner vers des petites séries (composées à 80 % de coton et 20 % de lin avec l’objectif d’atteindre le 50/50). « Je préfère le sur-mesure, le circuit court », sourit-il, précisant que les fils de coton sont teintés chez Lepère, à Nay, et que tout est exécuté en interne. L’entrepreneur reprend également l’idée de sa mère de faire appel à des designers, associe le jacquard et les bandes verticales du linge basque. Il développe aussi le concept « Usine ouverte » qui propose aux créateurs de nouer un partenariat qui leur permet de tisser leurs propres créations sur les machines de l’entreprise, à l’instar de Matali Crasset, Blandine Lamy ou encore Sokina Guillemot.
Moutet à l’Elysée
Aujourd’hui, Tissage Moutet, par ailleurs labellisé EPV, a retrouvé de sa superbe et affiche 1,6 million d’euros de chiffre d’affaires. Certes, la société orthézienne n’est pas leader du tissage de linge de maison en France comme elle le fut lors de l’âge d’or dans les années 70, mais elle défend ses lettres de noblesse avec panache, comptant parmi ses clients les grandes maisons ainsi que le musée du Louvre, la Maison Blanche ou encore le musée Chaplin. A noter également que l’une de ses nappes a été exposée à l’Elysée en juillet à l’occasion de la manifestation « Fabriqué en France », où Tissage Moutet était seul représentant du département dont il défend ardemment les couleurs. « Il est essentiel selon moi de maintenir cet engagement pour le territoire, pour nos salariés, pour le savoir-faire », martèle Benjamin Moutet. « Je reste convaincu que Moutet a un rôle économique mais également un rôle militant prépondérant puisqu’aujourd’hui il y a peu de sociétés familiales, industrielles à 100 % et implantées dans des petites villes… »
Tissage Moutet, par ailleurs labellisé EPV, a retrouvé de sa superbe et affiche 1,6 million d’euros de chiffre d’affaires.
« L’optimisme au cœur de l’engagement »
Effectivement pour voyeur d’emploi sur le territoire, Tissage Moutet compte 35 salariés, dont 10 embauchés cette année. Et le turn-over est faible, précise le PDG, qui l’explique par sa politique RH et notamment par une absence totale d’horaires contraints de travail. Ici, une seule règle pour les employés : terminer la tâche qui leur incombe dans les temps impartis. « Je n’ai jamais été efficace le matin. Je me suis dit que je ne devais pas être le seul ! », sourit le quadragénaire à l’enthousiasme contagieux. Benjamin Moutet, fervent partisan « du verre à moitié plein », met un point d’honneur à placer « l’optimisme au cœur de l’engagement ». Pour preuve, il ambitionne de doubler le chiffre d’affaires d’ici dix ans.
Tissage Moutet en chiffres
1,6 million d’euros de chiffre d’affaires (80 % de tissus jacquard et 20 % de linge basque)
35 % du CA à l’export
70 % des ventes en B2B
50 % de production personnalisée, 50 % de production interne
Les torchons représentent 80 % de la production
35 salariés
Une usine de 10 000 m2 construite en 1967
Le long chemin jusqu’à l’IGP
Ce 27 septembre, la Cour de cassation a définitivement confirmé l’existence de l’indication géographique « linge basque », dont la création est à l’initiative du Syndicat des Tisseurs du Linge Basque d’Origine. Validée en octobre 2020 par l’INPI, l’homologation de cette IG qui certifie un tissage dans les Pyrénées-Atlantiques avait été contestée par Les Tissages de Saint-Jean-de-Luz. L’entreprise basque, qui fait fabriquer son linge à Lyon, avait saisi la justice afin de pouvoir continuer à utiliser l’argument commercial « linge basque ». Pour le syndicat, qui regroupe Tissage Lartigue à Bidos, Lartigue 1910 à Ascain et Tissage Moutet à Orthez, le renvoi de ce pourvoi est « une excellente nouvelle pour les entreprises porteuses de l’IG pour qui l’ancrage géographique de l’appellation est garante de la préservation d’un patrimoine vivant ainsi que d’emplois qualifiés au sein des Pyrénées-Atlantiques. »