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CDD multi-remplacements : les solutions pour le mettre en oeuvre

Jusqu’au 12 avril 2025, le CDD multi-remplacements permet aux entreprises, dans certains secteurs d’activité, de conclure un seul CDD pour le remplacement de plusieurs salariés absents, que ce soit simultanément ou successivement. Une expérimentation peu encadrée qu’il est nécessaire de maîtriser.

Marieke CASTRONOVO, Avocat - FIDAL Département droit social - Barreau de Bayonne CDD

Marieke CASTRONOVO, Avocat - FIDAL Département droit social - Barreau de Bayonne © Louis Piquemil - La Vie Economique

L’absence temporaire d’un salarié1, à la seule exception de l’interdiction de procéder au remplacement d’un salarié gréviste3, conduit l’entreprise à devoir revoir son organisation et, le plus souvent, à procéder au remplacement temporaire de son salarié par CDD ou intérim, les règles en la matière étant similaires. La jurisprudence a eu l’occasion de préciser que le motif de recours au CDD de remplacement se devait d’être unique, de sorte que le contrat ne pouvait envisager qu’un seul et unique remplacement, sans possibilité ni de reconstituer un contrat à temps complet par le cumul de deux remplacements partiels, ni encore de faire se succéder deux motifs de remplacement dans un même contrat. Il était ainsi exigé que chaque remplacement successif soit envisagé dans le cadre d’un contrat spécifique et la jurisprudence récente a pu rappeler que les manquements commis au cours de l’un des CDD ne permettent pas de mettre un terme à ceux qui lui succèdent.

Bref, l’impasse était proche et l’attractivité pour les candidats au CDD limitée. Ces dernières années, le législateur a largement remanié les règles applicables aux CDD, dans le sens d’une flexibilité accrue, qu’il s’agisse de la durée maximale des CDD qu’il est possible d’adapter par accord de branche6, du nombre de renouvellements ou encore des délais de carence entre CDD successifs sur un même poste, mais le sujet du multi-remplacements demeurait entier.

Une première expérimentation quelque peu boudée avait été envisagée sur 2019/2020 et le législateur vient de la réactiver pour une période de deux années à compter du décret d’application paru le 13 avril dernier. Le texte se veut des plus laconiques puisqu’il tient en trois lignes alors que les questions pratiques sont nombreuses. L’administration a tout de même pris soin, cette fois, de publier un Questions/Réponses (QR).

– Le champ d’application :

Sur ce point, l’exercice est maîtrisé et relativement simple : seules les entreprises qui entrent dans le champ d’application de l’une des conventions collectives de branche visées par le décret peuvent envisager d’expérimenter le multi-remplacements. La liste est plus longue qu’à l’origine et les entreprises se reporteront utilement au décret pour déterminer si elles sont éligibles ou non.

– La durée de l’expérimentation :

L’expérimentation est envisagée pour deux années à compter de la publication du décret, ce qui conduit au 12 avril 2025. Le QR de l’administration a pris soin de préciser que les effets d’un contrat conclu avant le 13 avril 2025 pourront être portés au-delà mais qu’il sera ensuite proscrit d’envisager de prolonger ou de renouveler un CDD multi-remplacements.

– Ce à quoi le CDD multi-remplacements permet de déroger :

Le dispositif expérimental permet de déroger à la seule exigence de procéder au remplacement d’un seul et unique salarié, tout en proscrivant que cette expérimentation ait « pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».

La formule est connue en matière de CDD mais elle demeure bien vaste ! Pour le reste, l’ensemble des règles du Code du travail devraient naturellement continuer à s’appliquer. Il faut reconnaître que l’expérimentation doit jouer des coudes pour ne pas être concurrencée par d’autres exigences du Code du travail qui la rendraient inexploitable. Le QR ministériel apporte un premier éclairage et nombre des précisions apportées sont les bienvenues. Il demeure tout de même discutable que l’administration s’octroie le pouvoir de « légiférer » au-delà de ce que le texte visé plus haut a véritablement exprimé.

En pratique, l’expérimentation se devra d’être mesurée dans le nombre de remplacements regroupés dans le contrat unique et il ne saurait être question ni de faire trop long (parce que la durée maximale de 18 mois continue de s’appliquer), de ni faire trop nombreux (parce que la formulation du contrat serait alors particulièrement complexe).

Le multi-remplacements suppose ainsi :

– de parfaitement identifier l’identité et la qualification des salariés remplacés ;

– de mentionner la durée de l’absence de chacun des salariés remplacés et d’adapter en conséquence la durée du contrat ;

– si tous les salariés n’ont pas le même niveau de qualification, de préciser les responsabilités qui pourraient être spécifiques à tel ou tel remplacement au cours du contrat ;

– d’identifier la rémunération attachée aux différents remplacements si l’ensemble n’est pas rémunéré sur le même taux horaire (l’administration préconise un alignement par le haut de la rémunération du salarié remplaçant tout en rappelant que cela est facultatif) ;

– de veiller à la parfaite articulation des différentes durées du travail si celles-ci évoluent à mesure des remplacements (il est possible d’alterner des périodes de travail à temps complet et à temps partiel, en revanche il est proscrit d’avoir des périodes d’inactivité).

Il est évident qu’un regroupement trop important de remplacements conduira à une usine à gaz…

De nouvelles notions font leur apparition dans le QR de l’administration et notamment celle d’ajout de nouvelles missions de remplacement par opposition à la notion, déjà connue, de renouvellement de CDD.

L’ajout d’un nouveau remplacement (qui est donc susceptible d’avoir un impact direct sur la durée du CDD et donc son terme) ne serait ainsi pas décompté du nombre plafonné de renouvellements autorisé par le Code du travail ou les dispositions conventionnelles applicables.

Les durées d’absences diverses des salariés remplacés pourront également conduire à envisager des termes différents pour chacun des remplacements et même la cohabitation de remplacements à terme précis (donc avec une date parfaitement déterminée) avec des remplacements sans terme précis (et alors conclus jusqu’au retour du salarié remplacé avec mention d’une durée minimale garantie). La multiplication des variables dans un même contrat (durée du remplacement, qualification et tâches à réaliser, durée du travail, rémunération, etc.) complexifie la rédaction de ce type de contrat et doit conduire à la plus grande vigilance des entreprises.

Les fondamentaux du droit du travail se doivent impérativement d’être maîtrisés avant de s’engager dans des contrats multi-remplacements et la technique contractuelle se devra d’envisager les incidents possibles que sont, notamment, le retour prématuré du salarié remplacé ou encore la rupture éventuelle de son contrat de travail et l’impact que cela pourrait avoir sur le salarié recruté pour le remplacer lui et d’autres.

L’expérimentation se doit ainsi d’être appréhendée de manière à la fois organisée, pragmatique et mesurée.

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