De Breton, Gwenaël Laville n’a que son prénom. Et s’il n’a pas grandi au bord de mer, ce jeune Bergeracois a pourtant baigné dans le poisson depuis sa tendre enfance, sillonnant les marchés avec son père. Sa première vente, il l’a faite dès que sa petite tête a pu dépasser le comptoir, hissé sur un bac de poisson servant de marchepied. Une passion qui l’a mené jusqu’au concours de Meilleur Ouvrier de France, dont il a été lauréat au concours 2023. Il a rejoint la liste très sélective des dix- huit meilleurs ouvriers de France poissonniers-écaillers.
UNE INSTALLATION SOUS LES HALLES DE PÉRIGUEUX
MOF : la distinction ultime d’une profession, à l’issue d’un concours d’exigence, qui n’a lieu que tous les quatre ans. Et désormais une image de marque que le jeune homme arbore fièrement sur sa veste, au col bleu, blanc, rouge, représentative de son appartenance à ce corps. Ainsi vêtu, il sert avec toujours autant de passion ses clients – plus nombreux depuis le concours – sous les Halles du Coderc à Périgueux.
Être MOF, c’est ce qui nous différencie nous, artisans, des vendeurs de poissons
Après avoir longuement arpenté les marchés du département et de la Gironde voisine, c’est là, qu’avec son père, le jeune poissonnier a décidé de se poser. « On y songeait depuis longtemps, on voulait voir ce que c’était de ne plus amener la marée au client, mais que le client fasse la démarche de venir. » Alors quand la famille Laville a su qu’un box se libérait sous les halles de Périgueux, elle a sauté sur l’occasion. « On garde l’ambiance du marché, tout en ayant le défi de faire le chiffre d’affaires d’une journée sur une matinée », relève cet amoureux des challenges.
DÉJÀ MEILLEUR APPRENTI DE FRANCE
Car les concours, Gwenaël Laville les a commencés tôt. C’est en rencontrant David Gomes, MOF depuis 2011, qu’il a eu le déclic : il ne sera pas seulement meilleur apprenti de France – concours qu’il a également réussi – lui aussi serait MOF. « Je me suis dit, je veux être comme lui. Ce qu’il dégageait sur le métier, sur sa culture et la concentration de savoirs qu’il détenait a été révélateur », résume le poissonnier. Dès novembre 2019, il s’inscrit au concours et le marathon de la préparation commence. Il travaille la pratique comme la théorie auprès des autres MOF poissonniers- écaillers, de pêcheurs, de producteurs chez qui il passe ses vacances. « Je n’avais qu’un seul but : que quelqu’un me dise si j’en étais capable ou pas, et j’ai bossé jusqu’à ce qu’on me dise que j’étais prêt », se remémore-t-il.
JULES VERNE AU MENU DE LA FINALE
Les derniers mois sont un véritable tourbillon d’apprentissage théorique. « On prépare des QCM qui portent sur différents thèmes : l’hygiène, la sécurité, les techniques de pêche, les tailles de commercialisation, les noms scientifiques des pois- sons… » Ce savoir, c’est le secret des MOF. « C’est ce qui nous différencie nous, artisans, des vendeurs de poissons. »
Avec ma sœur, nous étions très fiers de ce que notre père a bâti, alors je m’étais dit qu’à sa retraite, je reprendrais
Pour les qualifications, Gwenaël Laville se noie dans la foule des 41 candidats inscrits, mais seulement 21 se présentent au concours. Dix sont retenus pour la finale. L’étau se resserre avec un thème : Jules Verne. Les finalistes doivent com- poser un plateau avec une vingtaine de poissons imposés, et le même nombre de techniques à réaliser. Un mois et demi de préparation intense s’ouvre alors. « J’ai fait cinq examens blancs : un seul est passé, et j’étais hors temps. » Un investissement lourd puisque chaque test coûte 2 500 euros au jeune poissonnier, aidé de quelques sponsors. « J’ai aussi été épaulé d’un MOF en bouche- rie, il m’a fait changer ma méthode de ficelage des paupiettes une semaine avant l’épreuve, alors que j’avais la même technique depuis six ans… », sourit-il.
PERPÉTUER LA TRADITION FAMILIALE
Cerise sur la crevette, le jury a les yeux posés sur lui lors du ficelage des paupiettes. Et grâce à ces entraînements, le jour J, Gwenaël Laville « survole le sujet », « j’avais l’impression de réciter une symphonie ». Une réussite, puisqu’il fait partie des quatre reçus pour ce nouveau cru. Pourtant, pour ce jeune de 27 ans, initialement en formation d’électricien, si la poissonnerie était une évidence, elle devait arriver plus tard dans sa carrière. « Avec ma sœur, nous étions très fiers de ce que notre père a bâti, alors je m’étais dit qu’à sa retraite, je reprendrais, on voulait perpétuer la tradition familiale, le rendre fier. Mais tout a été plus vite que prévu », relate Gwenaël Laville. Un virage qui lui a réussi.