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L’Aéropostale (1918-1931) : Retour sur une épopée héroïque

L’Aéropostale fait partie de la grande histoire aéronautique française et toulousaine et fut le théâtre de 1918 (date de sa création) à 1931 (date de sa liquidation) d’une formidable épopée.

Aéropostale

Une affiche de l'Aéropostale. © D. R.

« J’ai refait tous les calculs, ils confirment l’option des spécialistes : mon idée est irréalisable. Il ne nous reste qu’une chose à faire : la réaliser ! », s’exclamait Pierre-Georges Latécoère, cité par Didier Daurat (Le Vent des hélices, Éditions Le Seuil, 1956). Une devise gravée sur la façade de l’immeuble du siège social de la société, au 79 de l’avenue Marceau, à Paris.

Latécoère à l’origine

Pierre-Georges Latécoère, qui avait créé une société à Toulouse-Montaudran en 1917 pour fabriquer des avions de guerre, est stoppé dans son élan avec la fin de la Première Guerre mondiale en Europe. Néanmoins persuadé de l’avenir de l’aviation commerciale, il présente un projet de lignes commerciales au ministre de l’Aéronautique de l’époque, dont l’objectif serait de relier la France à l’Amérique latine, via l’Afrique occidentale et cela en trois tronçons : Toulouse-Casablanca ; Casablanca-Dakar ; Natal-Buenos Aires, via Rio de Janeiro, une partie du trajet entre Dakar et Natal étant initialement prévu en bateau, compte tenu de la longue distance et des capacités limitées des avions. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Latécoère effectue un premier voyage Toulouse-Barcelone le 25 décembre 1918 à bord d’un Salmson, piloté par René Cornemont en un peu plus de deux heures et c’est à cette occasion qu’il crée les L.A.L. (Lignes Aériennes Latécoère). Ces lignes aériennes avaient pour mission d’aussi bien transporter du courrier que des passagers. L’esprit entrepreneurial, le dynamisme managérial, la rapidité d’exécution et de décision de Latécoère sont dignes d’être enseignés dans les meilleures écoles du monde entier.

« Avec l’avion, nous avons appris la ligne droite » (Antoine de Saint-Exupéry)

Toulouse-Montaudran : première aérogare de France

Ce qui a été entrepris en moins de 15 ans est impressionnant et force l’admiration. Tout s’enchaîne très vite. 1919 est une grande année : le vol entre Toulouse et Rabat est réussi (le Maroc étant sous protectorat français) et la ligne de poste aérienne devient régulière. Un an plus tard, la ligne est ouverte au transport de passagers et, en cette même année, la première liaison aérienne postale entre Toulouse et Casablanca est réalisée avec un Breguet XIV. Un an plus tard, en 1920, la ligne vers le Maroc est ouverte au transport de passagers et Toulouse-Montaudran devient alors la première aérogare de France.

Daurat : le « père la rigueur »

Le pilote Daurat est nommé à ce moment-là chef d’exploitation, chargé d’organiser les lignes, de planifier les vols et surtout de gérer les fortes têtes que sont certains pilotes. Daurat, le père la rigueur ! Il contribue avec Latécoère à un service postal le meilleur possible. Il est le garant de la philosophie suivante : « Partir et arriver à l’heure : tout le secret de notre entreprise est contenu dans cette formule », formule de Beppo de Massimo, un des piliers de la « Ligne » et ami très proche du fondateur. La légende veut notamment que Daurat fût fou de rage au moment de recruter Mermoz. Ce dernier, au lieu de faire un simple vol comme demandé par le « boss », fit une voltige digne des plus grands acrobates. « L’Archange », surnom de Mermoz, était la tête brûlée qu’il devait être pour réaliser des exploits futurs. Saint-Exupéry, dans le prolongement des auteurs naturalistes du XIXe siècle s’inspira de Daurat pour construire le personnage de Rivière, dans son magnifique roman Vol de nuit. Daurat, l’homme du respect du règlement et de la ponctualité. Voici comment Saint-Exupéry le décrivait : « Le règlement, pensait Rivière, est semblable aux rites d’une religion qui semblent absurdes mais façonnent les hommes ». Daurat créa « l’esprit de la ligne » en imposant une discipline de fer qui déplut à certains pilotes. Mais, les résultats sont là : dès le 1er septembre 1922, la liaison Toulouse-Casablanca devient quotidienne dans les deux sens.

Aéropostale

Henri Guillaumet © D. R.

Jusqu’à Saint-Louis (Sénégal)

En 1923, le capitaine Roig mena un vol en Breguet pour prolonger la ligne Toulouse-Casablanca jusqu’à Dakar et, en 1925, la première ligne Toulouse-Casablanca-Dakar fut ouverte. Cette ligne est mythique par son parcours et les villes qu’elle desservit : Toulouse – Alicante – Malaga – Tanger – Rabat – Casablanca – Agadir – Cap Juby – Villa Cisneros (la magnifique Dakhla actuelle) – Port-Étienne (et sa majestueuse baie du Lévrier et où il existe un banc d’Arguin) – Saint-Louis-du-Sénégal et enfin, Dakar. Au cours de ces différentes escales de bord de mer aussi exotiques les unes que les autres, étaient entreposés les avions de dépannage, les pièces détachées et le carburant nécessaire à la poursuite du voyage et à la continuité de l’acheminement du courrier.

L’esprit entrepreneurial et la rapidité de décision de Latécoère sont dignes d’être enseignés dans les meilleures écoles du monde entier

Mermoz, Saint-Ex et Guillaumet

Les années suivantes virent l’arrivée de trois pilotes célébrissimes de la compagnie aérienne. Mermoz, Saint-Exupéry, dit « Saint-Ex » et Guillaumet. Le jeune pilote Mermoz est embauché en 1924, et l’année 1926 voit l’arrivée de Saint-Ex et de Guillaumet, ce dernier embarqué dans l’aventure par Mermoz. Leurs premiers pas et ceux de leurs équipiers ne furent pas de tout repos car les tribus maures les kidnappaient lors de leurs atterrissages forcés en cas de problème et demandaient des rançons pour les libérer. 2027 vient l’heure du bilan et il est éloquent : plus de 6 400 000 lettres furent acheminées en 1927 pour à peine 9 124 en 1919. Quelle réussite et que d’exploits !

Dès le 1er septembre 1922, la liaison Toulouse-Casablanca devient quotidienne dans les deux sens

L’aventure sud-américaine

Pierre-Georges Latécoère a toujours eu en tête de rejoindre l’Amérique du Sud mais le gouvernement français ne souhaitait pas subventionner des lignes pour traverser l’Atlantique Sud et c’est, dans ce contexte, qu’il céda les parts de sa société en 1927 à l’industriel français Marcel Bouilloux-Lafont, passionné d’aéronautique et qui, avec sa société de bâtiment-travaux publics, souhaitait construire les infrastructures et les pistes, et ainsi poursuivre l’aventure de la desserte du courrier par avion. C’est en cette année 1927 que le nouvel acquéreur changea la dénomination sociale de la société et choisit le nom de la Compagnie générale aéropostale, plus communément appelée « l’Aéropostale ». Au cours des quatre années suivantes, c’est l’aventure sud-américaine qui se concrétisa. En 1927, fut créée l’Aeroposta Argentina, la filiale de l’Aéropostale qui assura le transport du courrier entre Buenos Aires et Asunción, Buenos Aires et la Patagonie et Buenos Aires – Santiago du Chili. Un an plus tard, la ligne Toulouse – Buenos Aires est inaugurée et elle donna lieu à l’incroyable exploit de Mermoz qui traversa l’Atlantique Sud avec un hydravion Latécoère 28, pour le premier vol commercial. L’exploit est fou : alors qu’il fallait neuf jours pour relier Toulouse à Buenos Aires en bateau, Mermoz fit le trajet en une vingtaine d’heures. L’année 1930 vit la naissance de la première liaison postale de la France vers Santiago du Chili avec Mermoz, comme pilote. Guillaumet enchaîna également les voyages en survolant la cordillère des Andes. Malheureusement, l’aventure s’arrêta en 1931 avec la faillite et la liquidation judiciaire d’une des plus grandes compagnies aériennes de tous les temps : l’Aéropostale. À la suite de cet événement, l’État français fusionna toutes les sociétés du transport national français pour donner naissance à Air France en 1933. On peut dire qu’il y a un peu de l’Aéropostale dans la compagnie franco-néerlandaise Air France/KLM actuelle.

Saint-Exupéry : l’humanisme incarné

Saint-Ex. L’Homme avec un H. Sa vie fut un rêve éveillé avant sa mort tragique en 1944. Magnifique citation qu’est la sienne : « Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité ». Saint-Ex fut tout à la fois un pilote remarquable, un écrivain hors pair et un fin diplomate. Après avoir transporté le courrier de Toulouse à Dakar pendant les années 1926 et 1927, il est nommé chef d’escale à Cap Juby, étape entre Casablanca et Dakar et fort militaire au cœur du territoire maure. Cap Juby où il resta pendant deux ans avant de s’envoler pour l’Amérique latine. Il y puisa probablement son inspiration pour l’écriture du merveilleux roman Courrier Sud (1929) avant que l’Argentine n’inspirât Vol de nuit (1931) et qu’il ne reçût le prix de l’Académie française pour son roman Terre des Hommes en 1939, roman dans lequel il relate son travail pour l’Aéropostale. Il relate dans ce roman son accident d’avion dans le désert libyen, en partance pour l’Égypte, et le fait que lui et son navigateur, André Prévot, furent sauvés par un Bédouin. Il lui rendit un formidable hommage par les mots suivants : « Quant à toi qui nous sauves, Bédouin de Libye, tu t’effaceras cependant à jamais de ma mémoire. (…) Tu es le frère bien-aimé. Et à mon tour, je te reconnaîtrai dans tous les hommes ».

Mermoz l’intrépide

Mermoz était le pilote-né. Citons-le : « Je savais qu’un jour, et un jour prochain, je volerai. Rien ne pouvait me faire renoncer à cette foi. Je ne voulais pas de profession autre que pilote ». Jean Mermoz a dédié douze ans de sa vie à l’Aéropostale, embauché en 1924 en faisant un looping devant un Daurat médusé et furieux. Il décéda en 1936 à bord de l’hydravion La Croix du Sud, en plein Atlantique Sud. Dernier message de son équipier : « Coupons moteur arrière droit », puis plus rien. Le 12 mai 1930, il fait d’un trait le trajet de Saint-Louis-du-Sénégal à Natal en un plus de 20 heures sans escale et la même année, il assure la première liaison postale entièrement aérienne de Paris à Santiago du Chili. Mermoz, le crack des cracks. Celui qui disait : « je ne voudrais jamais descendre ».

Guillaumet : « l’Ange de la Cordillère »

Embauché chez Latécoère en 1926, Guillaumet navigua dans un premier temps sur les lignes historiques Toulouse-Barcelone-Alicante mais également Casablanca-Dakar. Deux ans plus tard, il effectua un premier vol de reconnaissance entre Saint-Louis-du-Sénégal et Douala au Cameroun, avant d’atteindre Brazzaville après un vol de 6 000 km. Guillaumet sera surtout le pilote de la cordillère des Andes. En effet, en 1928, il inaugura la ligne régulière Argentine-Chili. Il fut surnommé « l’Ange de la Cordillère » car il la traversa plus de 400 fois. Il restera dans l’histoire pour son exploit surhumain, suite à un atterrissage forcé dans la Cordillère. Il marcha dans la neige et le froid pendant cinq jours sans dormir avant d’être sauvé par un enfant argentin de 14 ans. Les premiers mots prononcés à Saint-Exupéry venu le récupérer ont marqué l’histoire à jamais : « Ce que j’ai fait, je le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait ».

L’Hôtel du Grand Balcon

À deux pas de la place du Capitole, c’était le lieu de résidence des pilotes de l’Aéropostale, et notamment de Mermoz et de Saint-Exupéry. C’était à l’époque une modeste pension de famille tenue par trois femmes, les sœurs Marqués. Saint-Ex dormait dans la chambre 32 et Mermoz dans la chambre 20. On peut encore dormir dans celle de Saint-Exupéry, la 32 ! Magique !

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