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Riquet, l’entrepreneur génial du canal du Midi

Pierre-Paul Riquet fut un des grands bâtisseurs de l’histoire de France. Avant Suez et le canal de Panama qui tourna au désastre, la construction du canal royal du Languedoc se révéla être une réussite incroyable, fruit d’un acharnement sans limite et ceci malgré une absence totale de mécanisation.

Pierre-Paul Riquet

Pierre-Paul Riquet © Muzeo

C’est la « Merveille de l’Europe », le monument le plus célèbre du siècle de Louis XIV. 240 km ont été creusés de Toulouse à Sète, plus de 45 000 platanes plantés, aussi beaux les uns que les autres, et plus de 300 ouvrages d’art absolument magnifiques ont été construits. Merci Pierre-Paul Riquet pour la réalisation de ce bijou hydraulique, magnifique témoignage de l’énergie créatrice du Grand Siècle de Louis XIV (1643-1715) et fruit d’une relation respectueuse de l’environnement. L’esthétique du canal est absolument envoûtante et le fruit d’une recherche d’une réelle harmonie avec la nature. Absolutisme et mercantilisme ont donné le meilleur à cette très belle région située entre les deux mers.

Né à Béziers, en 1609, et plus tard élevé à la dignité de baron de Bonrepos, Pierre-Paul Riquet appartenait à une famille de notables d’origine florentine installés en Provence. Sa jeunesse fut studieuse et il fit de brillantes études au collège des Jésuites de sa ville natale. Sa famille serait donc d’origine italienne. Ainsi, un noble florentin, Gherardo Arrighetti, proscrit de la querelle entre Guelfes et Gibelins, serait venu chercher refuge en Provence. Son nom se francise en plusieurs temps : Riquetti, puis Riquéty et enfin Riquet pour la branche de la famille qui choisit de s’installer en Languedoc. À l’âge de 19 ans, il se maria à Catherine de Milhau, riche héritière qui lui apporta moyens financiers et appuis politiques.

PERCEPTEUR DE LA GABELLE

Il eut deux vies : tout d’abord, il fut percepteur des impôts sur le sel (gabelle), puis devient entrepreneur et investisseur. Ayant hérité d’une fortune importante de son père en 1630, il put acheter une charge de fermier des gabelles et devint en 1651 sous-fermier pour le Languedoc. Ainsi, pendant 20 ans, il a amassé une fortune grâce à une ferme des gabelles, fortune qui lui permit notamment de financer une partie de la construction du canal. Au-delà de cela, Pierre-Paul Riquet fut un entrepreneur hors pair, ayant basé ses décisions sur le triptyque de la réussite managériale : projeter- décider-financer.

LETTRE À COLBERT

En effet, avec l’appui de l’évêque Anglure de Bourlemont, il écrivit une lettre à Colbert, ministre des Finances du Roi, une lettre décisive qui commençait de la manière suivante : « Bonrepos, ce xv novembre 1662, Monseigneur, je vous écrivis de Perpignan, le 28 du mois dernier, au sujet… d’un canal qui pourrait se faire dans cette province du Languedoc pour la communication des deux mers Océane et Méditerranée, vous vous étonnerez, Monseigneur, que j’entreprenne de vous parler d’une chose qu’apparemment je ne connais pas et qu’un homme de gabelle se mêle de nivelage… », qui fut le réel point de départ de la construction du canal royal du Languedoc.

La question du coût de ce chantier fut bien entendu essentielle et Pierre-Paul Riquet fit preuve d’une transparence totale vis-à-vis de Colbert, précisant dans une lettre de 1662 adressé à ce dernier : « vous jugerez que ce canal est faisable, qu’il est à la vérité difficile à cause du coût, mais que regardant le bien qu’il doit en arriver, l’on doit faire peu considération de la dépense ». C’est ce que l’on appelle « vendre un investissement » en présentant le caractère relatif des montants décaissés pour suggérer un investissement qui rapportera dans un contexte politique propice à l’absolutisme. Et si Riquet était le premier des keynésiens et le grand-père des politiques de grands travaux !

Canal du midi, Pierre-Paul Riquet

© D. R.

VIEILLE IDÉE DATANT DE L’ANTIQUITÉ

Au moment où Colbert prend en charge les finances du royaume de France, la situation économique et financière n’est pas brillante. Le déficit commercial est abyssal, les importations représentant le double des exportations. Le pays est riche de sa production agricole mais incapable de l’exporter et, de manière plus précise, les richesses créées par la région du Languedoc manquent de filières de distribution que cela soit pour les blés du Haut-Languedoc, les vins du Biterrois ou du Minervois, le sel méditerranéen, ou les soiries et draps produits en Languedoc.

Vieille idée datant de l’Antiquité, le canal avait pour finalité de faciliter les échanges commerciaux entre le Nord et le Sud de l’Europe et de contourner la péninsule ibérique mais également d’éviter de transiter à Gibraltar en cas de souhait de naviguer en Méditerranée. La construction du canal s’inscrivait dans la réalité économique et sociale de son temps. Sa valeur et son utilité reposèrent sur ce qu’il apporta aux échanges économiques et aux possibilités de développement qu’il permit de favoriser.

Au final, en 1666, le Roi ordonna la construction du canal. Une des motivations poursuivies par le Roi était ainsi d’éviter de supporter les fortes taxes imposées par l’Espagne lors du passage des bateaux et des marchandises au détroit de Gibraltar. Les terres du canal furent considérées comme un fief sur lequel Riquet acquit de nombreux droits. Débutant en 1667, les travaux de creusement allaient durer 15 ans si bien qu’à la date de la mort de son initiateur, le canal n’était toujours pas terminé. Pierre-Paul Riquet mourut ruiné mais le canal fut terminé sous l’impulsion de son fils, quelques temps après, en 1681 et fut inauguré par Daguesseau, l’intendant du Roi en Languedoc.

Riquet fut surtout un formidable innovateur. Innovant du point de vue technique, social et financier. L’innovation technique fut la patte de son bras droit, François Andreossy, qui se révéla être un cartographe rigoureux et qui étudia les canaux italiens dans les années 1660, en particulier les écluses et les plans d’ouvrages attribués à Léonard de Vinci, et plus particulièrement le mode de fonctionnement des écluses, la réalisation des ascenseurs hydrauliques ou les formes elliptiques des sas de retenue.

La construction du Canal s’inscrivait dans la réalité économique et sociale de son temps

FIDÉLISATION DU PERSONNEL

Il fut également particulièrement innovant sur le plan social. Il s’intéressa en effet très tôt à la problématique de la fidélisation du personnel dans la mesure où, au moment des récoltes d’été et des vendanges, les ouvriers géraient leurs priorités et arbitraient en général en faveur de leurs obligations agricoles. Les moissons et les vendanges primaient sur les canaux. Il décida donc de mensualiser les salaires des ouvriers qui travaillèrent sur la construction du canal et institua des prémisses de sécurité sociale pour ses ouvriers en les payant lorsqu’ils étaient malades ainsi que les jours fériés et les jours de pluie. Il mit donc en place un système que l’on peut considérer comme l’ancêtre de la Sécurité Sociale pour les ouvriers qui travaillaient sur les chantiers du canal.

Ce formidable entrepreneur fit un travail remarquable pour fixer les modes de financement du canal. Il utilisa notamment une méthode de financement qui ressemble à la technique financière de l’effet de levier de l’endettement (LBO). Il fit des apports personnels et, à partir des dits apports, il sollicita des emprunts auprès de Colbert, emprunts qui seront ensuite remboursés par le produit de la gabelle.

Le coût de construction du canal a été estimé entre 15,2 millions et 17,5 millions de livres et financé à hauteur de 40 % par les finances royales, 40 % par les États du Languedoc et 20 % par Pierre-Paul Riquet.

Terminant l’oeuvre pharaonique de son père décédé, Jean-Mathias fut un des pères de la structure organisationnelle divisionnelle en nommant un directeur général et 7 directeurs pour chacune des aires géographiques : Toulouse, Naurouze, Castelnaudary, Trèbes, Somail, Béziers et Agde.

Longtemps utilisé pour le transport de marchandises, le canal du Midi est aujourd’hui reconverti au tourisme fluvial. C’est l’un des plus anciens canaux d’Europe toujours en fonctionnement. Depuis 1996, il est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

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